Deuxième partie – L’adaptation

Un art ingrat

73. Le propre de l’auteur de sous-titres est avant tout de ne pouvoir donner libre cours à son talent d’écrivain.

Chaque créateur entreprenant une œuvre d’art doit se pourvoir d’une matière première inhérente à cet art. La matière première de l’écrivain est le papier et il peut se la procurer en quantités illimitées. Or, dans le domaine du sous-titrage, cette matière lui est sévèrement rationnée et, à certains moments, refusée ! Cela veut dire qu’on exige de notre écrivain de mettre sur papier, en caractères bien lisibles, un millier de propositions substantielles et parfaitement claires, à la condition expresse de n’utiliser, pour chacune d’elles, qu’un bout de papier dont la surface est loin d’y suffire. (Les dimensions de chaque bout de papier lui sont précisément notifiées par les feuilles de repérage.)

74. Il en résulte une « pénurie d’espace » qui ne peut que rebuter un écrivain authentique, parce qu’allant à l’encontre de son élan créateur combien légitime. Concilier cette limitation avec le but à atteindre n’est pas chose aisée si l’on considère que ce but est la rédaction de plusieurs centaines de phrases dont chacune doit être claire, correcte, concise, complète et naturelle à la fois.

Mais… un proverbe allemand dit : « In der Beschränkung zeigt sich der Meister.» C’est dans la restriction des moyens que se révèle le Maître. Rarement vérité trouve-t-elle meilleure application que dans l’art du sous-titrage.

75. L’avènement du cinéma parlant a créé des centaines de métiers nouveaux, entre autres celui d’auteur-cinéaste en général et d’auteur/sous-titreur en particulier. Chaque art, quel qu’en soit le degré d’élévation, comporte obligatoirement un stade préliminaire d’apprentissage tendant à l’acquisition de la « technique » de cet art. Le sous-titrage peut être considéré, à la rigueur, comme un art « mineur » mais, tout mineur qu’il soit, on ne saurait le pratiquer impunément sans avoir été initié à ses arcanes et atteint à une sorte d’habileté qui relève davantage de la spéculation que de l’art.

76. Car, disons-le sans ambages, le sous-titrage et les belles-lettres sont des parents très éloignés qui s’entendent plutôt mal lorsqu’il leur arrive de se rencontrer… Allons même jusqu’à affirmer que l’un va à l’encontre de l’autre, qu’un bon sous-titreur n’est pas forcément un bon écrivain et qu’un très grand prosateur peut faire un piètre sous-titreur. Cet « antagonisme » vient de ce que le langage du sous-titreur doit, pour des raisons techniques et commerciales, s’accommoder des moyens d’expression qu’un écrivain authentique pourrait renier comme contraires à sa doctrine artistique.

77. Ce langage, résultat d’une gymnastique cérébrale souvent laborieuse, doit, dans son expression définitive, pouvoir toucher plusieurs couches sociales à la fois, encore qu’il soit destiné à un public « d’exclusivité1 ». Dans certains pays où le doublage n’a pas cours, les films sous-titrés s’adressent à un public très large et assez disparate. En tout état de cause, le sous-titreur est tenu, dans les deux cas, d’adopter un style typiquement « cinématographique », qui ne doit ni choquer le spectateur moyen par un excès de raffinement, ni le spectateur cultivé par une facilité trop rudimentaire.

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