« Un film est comme un roman, il faut le traduire à chaque nouvelle génération » Lenny Borger
Lorsque Lenny Borger débarque à Paris au milieu des années 1970, ce jeune New-Yorkais de Brooklyn porte déjà en lui l’amour de la langue française.
Cette langue, si étrangère, enchante ses oreilles lorsque, jeune adolescent, il découvre, quasi en direct, les textes chantés de Jean Ferrat, Léo Ferré ou de Jacques Brel. Le rythme, comme la poésie des paroles, vont durablement s’inscrire en lui.
C’est cet amour, unique, qui l’amènera à quitter les États-Unis pour la France. Et que fait un Américain à Paris lorsqu’il aime aussi le cinéma ? Outre fréquenter la Cinémathèque française et les salles obscures, Lenny devient alors critique pour le journal américain de référence, Variety, poste qu’il occupera jusqu’au début des années 1990. Mais plus que l’activité journalistique, c’est véritablement dans la traduction des films français qu'il saura déployer toute sa maîtrise et connaissance des subtilités de la langue de Molière comme celle de Shakespeare.
En 1980, Bertrand Tavernier lui propose de faire le sous-titrage de son film Une semaine de vacances avec Nathalie Baye et Gérard Lanvin. C’est le début d’une longue carrière, au cours de laquelle Lenny Borger traduira en anglais plus d’une centaine de films français, avec une prédilection pour le cinéma de l’entre-deux-guerres. Marcel Carné, Jean Renoir, Julien Duvivier, Henri-Georges Clouzot, Robert Bresson, Georges Franju, Luis Buñuel, mais aussi Jean-Pierre Melville, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, Claude Sautet, Patrick Chéreau, parmi tant d’autres.
Nous recevant chez lui, dans son appartement parisien mitoyen du Grand Rex, Lenny égrène quelques souvenirs de son travail des mots au service du cinéma.
En ce début d’année 2020, la Cinémathèque française rend hommage à Jean-Luc Godard. Vous avez traduit certains de ses films et même travaillé avec lui. Pour quels films ?
Dans les années 2000, Criterion m’avait demandé de traduire la période classique de Jean-Luc Godard, les films des années 1960. À bout de Souffle était un bijou pour tout traducteur, c’est un film qui comporte énormément de jeux de mots, certains très marrants. J’avais d’ailleurs trouvé une astuce linguistique en anglais pour la phrase : « T’es vraiment dégueulasse » / « You make me puke ». Quand j’ai fait ce travail de traduction, j’avais regardé ce qui avait été fait avant. Il faut préciser que tout n’était pas vraiment bien traduit, c’était bien plus succinct, on ne cherchait pas vraiment à transmettre la saveur du dialogue, ça restait tout de même assez littéral.
Et puis, comment ne pas évoquer l’un des pires jeux de mots dans toute sa filmographie, avec son film Une femme est une femme (1961) ? La dernière réplique d’Anna Karina m’a donné beaucoup de mal. Jean Claude Brialy et Anna Karina sont ensemble au lit, il lui dit : « Angela, tu es infâme », elle lui répond : « Moi ? Je ne suis pas infâme, je suis une femme ». J’ai trouvé l’équivalent en anglais avec : il lui dit « Damn you, Angela ! » Elle réplique : « No, a dame me ».
J’étais seul à faire ce travail, à l’occasion de la ressortie du film en Amérique. C’était au studio Malakoff ; je me souviens que la sœur de Jean-Luc Godard était présente au labo lorsque j’ai fait cette dernière phrase, je lui avais demandé de venir, car j’avais des problèmes de traduction. Bien plus tard, Anne-Marie Miéville, avec qui j’ai eu l’occasion de travailler sur ses films, me recommande à nouveau pour travailler avec lui sur Éloge de l’amour.
Avec ma collègue Cynthia Schoch, nous avons traduit ce film, c’est un objet très curieux. Ça s’est passé parfaitement bien. Il nous avait invités à découvrir le film chez lui en Suisse. Je me souviens, j’étais un peu grincheux, je ne voulais pas me déplacer aussi loin pour un travail que je ferais de toute façon en région parisienne. On a tout de même pris le train jusqu’à Lausanne, et ensuite un bus pour Rolle. Il nous a vraiment bien reçus, il était très sympathique, comme Anne-Marie Miéville. C’était une expérience assez drôle. Le lendemain de la première à Cannes en mai 2001, il m’a appelé pour me dire combien il était content des sous-titres. J’aurais dû, je pense, arrêter là, car après ce fut un peu plus compliqué. Avec Notre musique, tout devenait un peu plus complexe, il y avait plusieurs langues à traduire. Mais surtout, il ne voulait pas que tout soit traduit.