Principe du repérage
21. Si nous considérons les multiples phrases formant le dialogue d’un film sous l’angle de leur importance pour la bonne compréhension de l’action, nous pouvons affirmer que cette importance est extrêmement variable. Il y a, dans un film, des répliques de première importance, de moindre importance, il y en a aussi qui ne sont pas importantes du tout.
Transposant cette vérité sur le plan du sous-titrage, nous pouvons dire que la nécessité de sous-titrer telle ou telle phrase est fonction du degré de son importance pour la compréhension de l’action du film.
22. Bien entendu, tout est important dans un dialogue, sinon son auteur aurait omis ce qui ne l’est pas. La toute première tâche du repéreur consiste à déceler le degré de cette importance. Ainsi, les phrases de première importance seront obligatoirement sous-titrées, celle de moindre importance le seront avec une certaine parcimonie et, enfin, celles sans importance ne le seront pas du tout.
La routine veut que ce soit l’adaptateur du film qui décide arbitrairement si telle réplique mérite ou non d’être traduite au public. Autrement dit, le repéreur, sans se soucier d’aucune discrimination, a l’habitude de tout repérer, laissant à l’adaptateur le soin de « se débrouiller » comme il pourra.
Nous croyons fermement que c’est au repéreur et non à l’adaptateur que doit incomber cette tâche si délicate, pleine de responsabilité. Voici pourquoi :
23. Lorsque l’adaptateur reçoit des mains du repéreur le matériel technique et qu’il entreprend la partie rédactionnelle du sous-titrage, il a vu le film en projection une seule fois, rarement deux ; même s’il possède une mémoire visuelle extraordinaire, il ne peut avoir retenu tous les détails de l’action ni discerner leur incidence sur le dialogue. Or, le sous-titrage est avant tout une affaire de détails.
Par contre, le repérage s’effectue obligatoirement à la table d’écoute. Le repéreur, s’il est conscient de sa tâche, doit constamment revenir en arrière et « repasser » plus d’une fois telle ou telle réplique avant de poser ses marques de repérage définitives. Il voit ainsi chaque scène dialoguée trois, quatre, sinon cinq fois. Arrivé au terme de son travail, il connaît pour ainsi dire « par cœur » non seulement le film lui-même, mais aussi toutes les incidences possibles de l’action sur chaque parcelle du dialogue. Donc, à moins que le repérage ait lieu en présence du futur adaptateur – condition idéale mais irréalisable en pratique – seul le repéreur est à même d’établir une discrimination judicieuse entre ce qui est essentiel dans un dialogue et ce qui ne l’est pas. L’adaptateur ne peut le décréter valablement que s’il a en main un excellent « relevé-standard » (voir § 66) contenant précisément chaque détail visuel et auditif du film. Mais un « relevé-standard » n’est autre chose qu’un repérage perfectionné à usage multiple, entre autres à celui de sous-titrage en toutes langues.
Nous ne voulons pas prétendre que l’auteur de sous-titres ne doive montrer aucune initiative en matière de repérage strict. Bien au contraire : le sous-titrage étant, comme nous l’avons déjà dit, un travail d’équipe, le littérateur/sous-titreur aura soin de faire part au repéreur de ses observations éventuelles et même de lui suggérer, en cas de difficulté, telle modification de repérage qui s’imposerait à son point de vue. Tous deux doivent alors se concerter en vue de trouver une solution judicieuse au problème qui se pose. C’est précisément ce que nous appelons « une collaboration étroite ». Toutefois, sur le plan du résultat recherché – et c’est cela qui compte – c’est l’avis du repéreur qui devrait prévaloir, car les considérations techniques doivent l’emporter sur les littéraires, beaucoup moins rigoureuses et pouvant toujours « se plier » aux premières.
24. Il a été montré que la présentation de chaque sous-titre s’accompagne inévitablement de deux chocs successifs dont le premier correspond à son apparition et le deuxième à son effacement. Il est évident que, plus une phrase est courte, plus le temps de lecture du sous-titre est court et plus ces deux chocs se rapprochent dans le temps. Dans les phrases excessivement courtes, l’effet du sous-titre peut être comparé à celui d’un éclair se dessinant dans un ciel noir. Pour peu que nous nous trouvions en présence d’une série substantielle de phrases très courtes et dont chacune serait sous-titrée, notre œil subirait un vrai déluge de chocs redoublés qui ne peut qu’affecter fâcheusement nos facultés visuelles.
Par contre, plus une phrase est longue, plus le temps de lecture du sous-titre devient long et plus les deux mêmes chocs s’éloignent dans le temps, permettant une atténuation sensible de leur effet.
25. Sur le plan pratique, les considérations ci-dessus peuvent être illustrées par un exemple assez édifiant :
Supposons que la durée intégrale des dialogues seuls d’un film soit de 40 minutes, soit 2 400 secondes. Si nous les munissons de sous-titres dont chacun aurait une durée de 2 secondes, le nombre de sous-titres serait de 1 200 (2 400 : 2) ; pour une durée unitaire de 3 secondes, ce nombre est réduit à 800 (2 400 : 3) ; pour une durée unitaire de 4 secondes, nous obtenons 600 sous-titres. Et ainsi de suite. Si nous pouvions fixer cette durée unitaire à son maximum, qui est 6 secondes, le nombre de sous-titres du film ne serait que de 2 400 : 6 = 400 ! (Nous nous proposons de prouver plus tard que la partie littéraire n’en souffrirait nullement, bien au contraire !)
En résumé, les sous-titres courts impliquent un nombre considérable de ceux-ci et deux fois autant de chocs visuels ; avec les sous-titres longs, ce nombre décroît sensiblement, et avec lui les inconvénients inhérents à l’effet visuel du sous-titrage.
À ces deux évidences, ajoutons-en une troisième : il n’y a pas de chocs quand il n’y a pas de sous-titre.
26. Le repéreur doit tirer un enseignement précieux de ce qui précède : dans la mesure du possible – et il est rare que cela ne soit pas – éviter les sous-titres excessivement courts et, surtout, une succession des mêmes. Parlant en termes de métier, s’efforcer de repérer « long » plutôt que « court », sauf bien entendu impossibilité matérielle. Un repérage long réduit le nombre de sous-titres à son strict minimum. Chaque sous-titre « économisé » signifie deux chocs en moins à subir par le spectateur et, corollairement, un accroissement de ses facultés de perception auditive et visuelle.
Autre recommandation importante : ne pas repérer les phrases dont la traduction n’est d’aucune utilité pour le spectateur.
Nous allons consacrer à ce dernier genre de phrases un chapitre spécial, avant d’aborder le problème de repérage dans tous ses détails.