Entretien avec Mario Paolinelli, dialoguiste et vice-président de l’AIDAC
Alors que « voice-over » est un terme technique qui indique de façon neutre que nous ne sommes pas en présence d’un doublage, mais d’une superposition de la voix d’un narrateur à la voix d’origine, le terme « similsync » introduit une idée de mélange entre réalité et fiction, ce qui compromet, à mon avis, le pacte passé avec le spectateur, selon lequel ce dernier est disposé à suspendre sa propre incrédulité et à accepter le doublage. Selon vous, qu’implique ce glissement ?
Vous avez presque tout dit et il ne me reste qu’à compléter votre analyse. Cette aberration esthético-auditive va rapidement conduire à l’effondrement du contrat mutuel que le doublage établit avec le spectateur ; en se révélant de façon aussi évidente, cet entre-deux mettra à nu sa nature factice et le spectateur commencera à le rejeter : pourquoi devrais-je sortir de chez moi et dépenser sept ou huit euros pour entendre quelqu’un qui fait semblant de jouer, quand la téléréalité me montre la même chose, mais ne s’en cache pas ? J’ignore si les majors se posent la question, mais je ne crois pas que les intérêts de ceux qui distribuent un film étranger en version doublée coïncident avec ceux qui gèrent des produits de téléréalité. Je suis même convaincu que ce genre d’opération sous-culturelle visant à maximiser les recettes publicitaires nuit profondément au doublage (et à ses petites mains) et, par là même, à la grande distribution internationale, s’il est toujours exact qu’un bon doublage multiplie par huit les recettes. En l’occurrence, le comportement des responsables du doublage italien ressemble un peu au suicide collectif des lemmings dont le mythe a été colporté par Disney.
D’un point de vue purement terminologique, je trouve que l’appellation « similsync » tend à réduire la traduction appliquée au doublage à une simple question de synchronisme.
Surtout lorsque c’est, non pas une « nouvelle pratique », mais au pire un doublage mal fait et, au mieux, un voice-over moins bien fait. C’est une tentative ratée : elle ridiculise et discrédite le comédien ou la comédienne qui s’efforce de jouer l’injouable et rend manifeste et grotesque le travail du traducteur-dialoguiste, en montrant inévitablement les limites théoriques et techniques de son travail. Il y a plusieurs années, je disais qu’un doublage remarquable était précisément celui qu’on ne remarquait pas. Aujourd’hui, je dois dire : mieux vaut un bon sous-titrage qu’un doublage trop flagrant (ou qui ne respecte pas les règles de l’art).
En ce qui concerne l’écriture, cependant, les conditions de travail des adaptateurs de ces produits semblent davantage définies que celles des comédiens de doublage.
Pas exactement. D’après certaines rumeurs et des photocopies de factures interceptées, nous pouvons dire que, pour la plupart des dialoguistes, ces travaux sont payés « à la minute » plutôt qu’à la bobine, comme le prévoit normalement la convention, avec des tarifs allant de 2 à 6 euros. Évidemment, cela n’inclut pas le paiement des contributions à l’Office national de prévoyance et d’assistance des travailleurs du spectacle, tout au plus l’application du régime de prévoyance des travailleurs indépendants économiquement subordonnés, qui est dérisoire. Si l’on appliquait correctement la convention – qui prévoit justement le non-respect du synchronisme « rythmique (longueur des phrases) et labial (mouvements des lèvres) » – ces travaux seraient rémunérés conformément à la catégorie C du tableau D1 : 186 euros par bobine, c’est-à-dire environ 19 euros la minute. Mais là aussi, la loi économique prévaut : le mauvais dialoguiste sous-payé chasse le bon. Amusez-vous à calculer – outre les dommages culturels – combien cela fait d’argent en moins dans les caisses de l’État et de la sécurité sociale.
Comment expliquez-vous qu’un groupe « leader » comme Discovery Italia déclare aussi naïvement avoir « inventé un genre » et en profite pour ignorer la convention ?
À vrai dire, dans ce pays où l’on laisse les enfants passer trois heures par jour devant la télévision, où une personne sur trois ignore quel est le fleuve le plus long, où plus d’un tiers de la population – dont la plupart ne mange pas à sa faim – vote pour le patronat, où, dans le classement pour le respect des droits de l’homme, nous sommes bien au-delà de la 40e place, après le Ghana, cela ne me surprend pas du tout. Ce qui me surprend, en revanche, c’est que la maison « mère », la Discovery Communication Inc., en la personne de son fondateur John S. Hendricks et de son actuel président David M. Zaslav, cautionne ces comportements préjudiciables à la culture d’un pays, du fond de son lointain et puritain Maryland, tout en allant tranquillement le dimanche à l’église à Silver Spring pour assister à l’office. Mais peut-être – j’en suis même sûr – ignore-t-elle ce que ses employés et son personnel font en Italie.
Y a-t-il quelque chose que je ne vous aurais pas demandé et que vous souhaiteriez dire ?
Eh bien, oui. Je pensais que vous me demanderiez si je n’avais pas un peu honte d’appartenir à ce secteur. Je vous aurais répondu « oui ». Parce que c’est un secteur dans lequel le mot « dignité » a disparu, tant chez les travailleurs qui acceptent n’importe quelles conditions afin de « rentabiliser leur journée », que chez les entreprises qui font de même avec leurs clients sur le dos des travailleurs, ou encore parmi les commanditaires qui profitent de la qualité des studios et des travailleurs, mais aussi de leur faiblesse économique, pour exploiter la situation et fuir leurs responsabilités, ce qui est moralement honteux. Enfin, je trouve que le mot dignité a également disparu de toutes nos institutions qui devraient avoir pour mission de surveiller, de corriger et de sanctionner ces pratiques. Disons qu’en filigrane, c’est là le reflet emblématique du pays indigne que nous sommes devenus, durant ces vingt ans de domination de l’ignorance et de la pensée unique. Bref, vous avez bien fait de ne pas me poser cette question, je vous aurais sûrement donné une réponse compromettante.
Entretien réalisé le 15 mai 2013