De retour des Etats généraux du livre (22 mai 2018)
Tout le monde était là, les directeurs de l’AFDAS, de l’Agessa-Maison des Artistes, de l’IRCEC, les représentants et membres d’un grand nombre d’associations et syndicats d’artistes et d’auteurs, emmenés par le Conseil Permanent des Ecrivains, organisateur de l’événement. Tout le monde, enfin, pas tout à fait. Il y avait bien des représentants du ministère de la Culture, fonctionnaires méritants, au sens noble du terme, et même un adjoint du bureau C1 du ministère de l’Economie et des Finances. Mais au fil des débats, il est devenu très clair qu’ils n’étaient que les rouages impuissants d’une puissante machine à désorganiser, dont le moteur se trouve ailleurs, dans les bureaux du Premier ministre et du président de la République, symboliquement représentés par des chaises vides.
Je n’ai pas l’ambition de faire un compte rendu du détail des questions abordées lors de ces Etats généraux. On peut les trouver ailleurs, bien mieux expliquées que je ne saurais le faire. Je voulais simplement en restituer des bribes révélatrices, et un résumé, assez vite brossé :
La réforme de la formation professionnelle continue ? Dix ans de travail pour la mettre en place, pour établir, au terme de débats harassants, des compromis satisfaisant toutes les parties prenantes. Au bout du tunnel, un outil qui fonctionne, plébiscité par les artistes-auteurs. Et maintenant, à quelques mètres au-delà du tunnel, un mur. Un big bang. On explose tout, pour avoir quoi ? On ne sait pas encore exactement. « On ne sait pas encore » , c’est l’expression qui va revenir en boucle tout au long des 4 heures de débats, au sujet de toutes les réformes à venir ou en cours.
La hausse de la CSG ? « Ah, on n’avait pas pensé à l’impact sur les artistes-auteurs, mais on va rafistoler ça, on y travaille. »
La réforme du régime social des artistes-auteurs ? « J’ai appris le 17 décembre par un mail de quelques lignes que le recouvrement allait être transféré à une URSSAF, » raconte sobrement Thierry Dumas, le directeur de l’Agessa et de la Maison des Artistes. Quant aux agents, ils ont appris par hasard, par un entrefilet dans la presse, qu’ils allaient passer de 90 à 20. Pour effectuer quelle mission ? On ne sait pas, peut-être de l’accueil. A ce jour, et alors que la réforme sera effective au 1er janvier 2019, Thierry Dumas n’a eu que quelques échanges sporadiques avec l’URSSAF du Limousin qui assurera le recouvrement de nos cotisations sociales. Quand auront lieu les réunions techniques ? On ne sait pas encore. Quelles seront désormais les missions des commissions professionnelles qui siègent à l’Agessa-MDA ? On ne sait pas encore. Pourquoi ne pas avoir retenu, pour la réforme de notre régime social qui connaît certes quelques dysfonctionnements, les préconisations sur lesquelles travaillent les auteurs depuis 2013 ? On ne sait pas. « On fait notre travail de notre mieux », explique Nicolas Georges, le courageux directeur du service du livre du ministère de la Culture, venu essuyer seul le feu nourri des « auteurs en colère », « on tente de porter votre voix, et puis les arbitrages se font ailleurs et ils ne vont pas forcément dans le sens qu’on aurait souhaité. » Et quid de l’effet domino de cette réforme ? Exemple, l’IRCEC et l’Agessa-MDA fonctionnent main dans la main pour le transfert des fonds issus de nos cotisations. Et demain avec l’URSSAF du Limousin ? On ne sait pas encore, dit Angela Alves, la directrice de l’IRCEC.
La réforme des impôts et le prélèvement à la source ? On est encore dans le flou pour votre population. Pour l’instant, on part sur un « acompte contemporain », qui serait prélevé tous les mois, ou tous les trois mois, on ne sait pas encore. Il faudra estimer vous-mêmes votre taux, avec une modulation possible de 10 à 30 %, et ne pas trop vous tromper, sous peine d’avoir une pénalité de 5 à 10 %. Mais comment connaître à l’avance nos revenus, fluctuants par nature ? On ne sait pas.
Voilà pour le résumé. Ceux qui espéraient des réponses concrètes sont repartis déçus. Mais qui pouvait en espérer ? Je parlais de bribes révélatrices, Guillaume Lanneau, auteur et administrateur de la SAIF a bien résumé le mépris qui enveloppe ces réformes : « Avant, pour préparer une réforme, on commençait par des négociations. Ensuite est venu le temps de la concertation, un mot qui en gros signifie « cause toujours ». Aujourd’hui, au mieux, on a des réunions d’information. » Et même ces réunions d’information sont aujourd’hui des victoires conquises de haute lutte. Comme celle qui aura lieu le 21 juin, où les artistes-auteurs auront peut-être la chance de savoir à quelle sauce ils seront mangés. En réponse, comme en miroir, l’intervention de Frédérique Dumas, députée LREM des Hauts-de-Seine, vice-présidente de la commission des Affaires Culturelles : « Des négociations, pour quoi faire ? Non, tout le monde est d’accord que cette réforme est bonne, en revanche, il faut maintenant de la concertation. » Suit un plaidoyer, qui brosse dans le sens du poil les auteurs du livre, largement majoritaires dans la salle (« Il est invraisemblable, à l’heure du numérique et de l’intelligence artificielle, qu’on ne connaisse pas en temps réel les ventes de livre, afin d’avoir une visibilité »), qui abonde dans le sens des artistes et auteurs en général (« Merci d’avoir organisé ces Etats généraux si nécessaires. Ce n’est pas une réunion d’information qu’il nous faudrait le 21 juin, mais un séminaire ! » - rires approbateurs), et qui éreinte au passage ces fonctionnaires des ministères forcément un peu incompétents qui sont évidemment à l’origine de tous ces problèmes, réduits à de simples couacs. Et on l’applaudit.
Le choc. Une élue de la nation vient de dire : « Négocier, pour quoi faire ? » Et on l’applaudit. Le lendemain, Mme Dumas a interpellé Agnès Buzyn à l’Assemblée, et la ministre s’est magiquement engagée à créer une aide pour compenser la perte de 0,95 % de CSG pour les auteurs, sans toutefois préciser ses modalités de fonctionnement. Peut-on vraiment saluer cette belle parole, quand bien même elle serait suivie d’effet, comme une victoire ? Un geste sur la CSG, quand une avalanche de réformes que nous n’avons pas voulues ni demandées va s’abattre sur nous ? Depuis le 22 mai, une question me taraude. Nous artistes et auteurs, qui comptons parmi les personnes qui devraient être les plus informées, les plus conscientes des remous qui agitent la société, les plus à mêmes, de par notre pratique quotidienne, à saisir le sous-texte de ce qui se joue en ce moment dans notre pays, serions-nous complètement nombrilistes ? Sommes-nous si aveuglés par nos interrogations sur la CSG et l’IRCEC pour ne pas voir l’enjeu politique de ces réformes ? Au point de ne pas voir que ce que Mme Dumas présente comme des problèmes techniques relève en réalité d’une véritable stratégie désorganisatrice ? Désorganisatrice, car nous sommes obligés de courir derrière des réformes qui se font sans nous, à consacrer notre précieuse énergie de bénévoles à tenter de trouver comment réparer, non, simplement appréhender, ce qu’on casse sous nos yeux. Désorganisatrice par ce mépris envers les acteurs sociaux révélé par cette politique systématique de la chaise vide. Stratégie, enfin, parce que ce type de rapport autoritaire, descendant, caché derrière un discours pragmatique et en réalité hautement politique, est actuellement à l’œuvre dans tous les secteurs de notre société.
Mme Dumas vient de subir à son tour ce mépris, après avoir planché des mois durant sur un rapport sur l'audiovisuel public. Le pouvoir exécutif vient simplement de s'asseoir sur toutes les recommandations du texte qui ne correspondaient pas à ce qui était déjà, et de toute façon, prévu.
Et nous, combien de temps allons-nous consacrer à tenter de grappiller les miettes qu’on voudra bien nous laisser ? Combien d’heures allons-nous perdre à tâcher de nous entre-expliquer ces réformes dont le législateur lui-même ignore encore les tenants et les aboutissants ? La prochaine réunion du groupement doublage / sous-titrage* du SNAC sera entièrement consacrée à ces questions. C'est une réunion salutaire, tant nous sommes perdus, pris au dépourvus devant cette "année de tous les dangers" qui vient.
La forme et le fond de ces réformes ont semé la colère. En attendant de trouver comment la dépasser et reprendre la main au lieu de subir, nous pouvons au moins la manifester, en signant la pétition pour l'Afdas, et en répondant à l'appel d'un rassemblement unitaire avant la réunion "d'informations et d'échange" du 21 juin dont nous gratifie le ministère de la Culture.
*Prochaine réunion du groupement doublage / sous-titrage du SNAC le 22 juin de 14 h à 16 h
Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs - 80 rue Taitbout - 75009 Paris