Le paysage audiovisuel français a reçu dernièrement deux coups de semonce. Comment, vous n’êtes pas au courant ? Ce cher monsieur PAF serait souffrant, fiévreux, à l’agonie, peut-être, et on ne vous aurait rien dit ? C’est que pour l’instant, ça ne se voit pas. D’ailleurs, le malade n’a rien senti. Il marche et fait le beau comme si de rien n’était. Ça, c’est moins rassurant.
C’est que le mal vient par les extrémités, il touche pour l’instant le bout de la chaîne, la post-production. Et en premier, ceux qui sont tout au bout du bout de la chaîne. Les traducteurs, par exemple.
Le Festival de Cannes et TV5 Monde sont deux des plus beaux habits de notre PAF. Ils portent haut et fort la voix de la culture française dans ce qu’elle a de meilleur et de plus noble : l’ouverture au monde, l’échange, l’ardente défense de l’exception culturelle, c’est-à-dire, rappelons-le, l’idée que ce qui relève de la culture ne devrait pas être soumis aux lois du marché.
Mais que s’est-il donc passé ? Une peccadille. Les traducteurs qui œuvrent régulièrement pour ces deux institutions se sont vus signifier qu’on pouvait désormais se passer de leur travail. Pas de leur personne, mais bien de leur travail. Car lorsqu’on divise la rémunération d’un professionnel confirmé par quatre ou cinq, comme veulent le faire les prestataires de sous-titrage du Festival de Cannes, ou par deux, dans le cas de ceux de TV5 Monde, jusqu’à la réduire à une portion tellement congrue que votre ado de 15 ans n’en voudrait même pas comme argent de poche, on dit bien que son activité ne mérite pas salaire, et donc qu’elle est accessoire.
« Révéler et mettre en valeur des œuvres pour servir l’évolution du cinéma, favoriser le développement de l’industrie du film dans le monde et célébrer le 7e art à l’international » c’est la vocation du Festival de Cannes. Mais comment révéler une œuvre, comment juger de sa richesse et de sa complexité quand les producteurs, les distributeurs ou les vendeurs internationaux présentent des films traduits au rabais ?
« TV5 MONDE revendique des contenus universels, porteurs de sens et de valeurs humanistes, et privilégie la qualité, l’innovation, la découverte dans le choix et la conception de ses programmes », dit le site de la chaîne. Devra-t-elle bientôt ajouter : « En revanche, la qualité des sous-titres qui permettent de transmettre ces contenus ne nous concerne pas » ? C’est une possibilité.
Notre PAF a avalé la mauvaise potion, celle de la concurrence déchaînée. A présent, d’inquiétants symptômes apparaissent, tout son corps est secoué de soubresauts. Chacun tâche de se sauver en sacrifiant plus petit ou plus faible que lui. En réalité, il supprime ce faisant un maillon essentiel de la chaîne. Pris à la gorge, les prestataires techniques n’ont d’autre choix que de s’entretuer pour survivre et ils naviguent à vue, coupant ce qu’ils peuvent couper. Les sociétés emblématiques telles que Titra ou LVT/CMC vacillent. Elles licencient à tour de bras, perdant ainsi leurs meilleurs éléments et tout leur savoir-faire. D’autres, comme LTC, ont déjà mordu la poussière.
La gangrène n’est visible qu’aux extrémités, mais le cœur est déjà atteint. En vérité, la guerre destructrice que se livrent les laboratoires de post-production menace en ce moment même de faire une nouvelle victime, et non des moindres, la raison d’être du Festival de Cannes et de TV5 Monde.
Allô, docteur ? J’ai mal à mon rayonnement culturel !