La grande communauté des traducteurs de l'audiovisuel est multiple, et c'est ça qui la rend belle. Chacun(e) a son parcours, son style, son identité... Il y a celles et ceux qui, très tôt, ont su que l'adaptation en audiovisuel était leur voie et ont suivi les études universitaires ad hoc ; et puis il y a les autres. Ceux qui sont arrivés là, non pas par hasard, mais par des chemins détournés. Ces dinosaures qui sont passés sur les bancs de la fac avant que les Masters spécialisés dans la discipline ne voient le jour et qui ont pris l'option, diplôme classique de langue en poche, d'aller courir le monde en collectionnant les rencontres, les expériences et les repas frugaux... Ce fut mon cas, et mon petit doigt me dit que je ne suis pas seule !
Anglo- et cinéphile, je suis arrivée au métier par la porte des festivals. D'un festival en particulier, celui du cinéma britannique de Dinard, où j'ai débuté par un concours de circonstances en 2005 comme "stagiaire en charge du catalogue bilingue". Mission si hautement estimée qu'elle était confiée chaque année, à l'époque, au premier étudiant qui pouvait se targuer d'avoir survécu à son voyage scolaire dans le Kent en classe de cinquième.
Bref. Ça, c'était avant. On va dire que la direction du festival était, à l'époque, plus experte en cinéma qu'en britannique... Chacun sa spécialité. Au fil des années (puisque j'y œuvre toujours, aujourd'hui à la programmation, 4 mois sur 12), je suis fière d'avoir contribué à concilier les deux au sein de ce beau festival et à développer, en parallèle, une activité indépendante de sous-titrage de l'anglais vers le français.
Tout cela pour en arriver au sujet central de mon propos : le public. Vous savez, ces gens qui regardent les programmes doublés, sous-titrés et audiodécrits. On est tellement focalisés sur les clients, les labos, les distributeurs, la SACEM, les impôts, Netflix, les délais, les tarifs ... qu'on en oublierait presque à qui est destiné le fruit de notre labeur : aux spectateurs. Eh bien, ce sont eux, sous la forme des festivaliers, qui m'ont amenée à me former à l'écriture de sous-titrages. Si vous vous attendez à ce que je sorte les violons du partage de la magie du cinéma, les trompettes de l'altruisme de ce beau métier qui bâtit des ponts entre nous et le ciel (ah non, ça, c'est Cabrel), qui fait tomber la barrière de la langue, qui rend accessible, comme par enchantement, des dialogues qui autrement tomberaient dans les abîmes de l'incompréhension, vous allez être déçus. Remballez violons et trompettes et rentrez les licornes à l'étable. Ce qui m'a poussée à faire ce métier, c'est la colère que j'éprouvais en entendant les gens sortir des salles en maugréant : "Il était bien ce film, dommage que le traducteur n'ait pas compris les jeux de mots ", ou "Môa, je parle anglais. C'est pas ça qu'il a dit, le mec", ou encore "Pas terrible, la traduction. Mon fils qui a 18 de moyenne en anglais au collège aurait fait mieux".
Et moi de retenir mon "Hé, Ducon ! C'est pas mal traduit, c'est a-dap-té ! Si tu connaissais la différence, tu serais moins méprisant". Et voilà. J'avais la réponse sous les yeux. En plus de me former aux techniques de sous-titrage (métier qui me trottait dans la tête depuis plusieurs années), je devais sensibiliser ce public qui jugeait sans savoir. Un fléau de notre société, juger sans savoir... Non ?
Alors, en femme de mots, j'ai troqué le vindicatif "Hé, Ducon !" pour brandir un bienveillant "Éduquons !", et je profite des tribunes qui me sont offertes en tant que programmatrice en festivals pour parler de cet autre métier qui est le mien et qui me passionne, celui d'adaptatrice de l'audiovisuel en sous-titrage.
Par souci de vulgarisation et pour éviter de m'adresser à des salles vides (ou semi vides, car il y a toujours une prof d'anglais à la retraite qui a vu de la lumière et s'est posée là avec une copine), j'attire le chaland en titrant mes interventions : "Traducteur de films, les ficelles du métier". Ça parle bien au public et ça ne sent pas trop le cours magistral triste à pleurer où le conférencier lit à haute voix le Powerpoint qu'on a tous sous les yeux.
J'y présente donc les différents volets du métier (sous-titrage linguistique et SME, doublage, voice-over et audiodescription), en les illustrant par des extraits de programmes choisis. Je parle de synchronisation labiale, je montre ce qu'est une bande rythmo, je définis les codes couleurs SME, je fais fermer les yeux à mon auditoire pour qu'il écoute un extrait audiodécrit. Puis je me concentre sur le sous-titrage, que je maîtrise mieux, avec les notions d'amorce vocale, de vitesse de lisibilité, de changements de plans, de persistance rétinienne, de taux de foisonnement, de fluidité du langage. Et là, ô joie, les premiers signes d'attention apparaissent dans la salle : je vois des têtes qui opinent, j'entends des "Ah, c'est pour ça, alors !", des "Bah oui, forcément, si elle traduisait tout, il faudrait 4 lignes et on ne verrait plus rien."
C'est à ce moment-là, quand ils ont toute mon attention, que je leur assène une vérité qu'ils semblent ignorer : un traducteur traduit du sens, pas des mots. L'adaptation est indispensable pour faire glisser du sens d'une langue à l'autre et ne peut naître que du cerveau humain. Là, il y a toujours un gros malin pour me dire que "Ouais, mais Reverso, c'est quand même vachement bien. C'est ça, l'avenir." Je prends une grande inspiration, je scande intérieurement mon mantra dans un immense effort pour ne pas me tromper d'orthographe (Éduquons... Éduquons...), et je parle du sacro saint contexte, de références culturelles, de langue cible et de langue source, du fait qu'un traducteur ne produit que dans sa langue maternelle, qu'une machine ne fait pas de différence - en anglais, en tout cas - entre un évier de cuisine et un navire en train de sombrer. J'en profite pour caser que nous sommes des auteurs à part entière et que nous en avons le statut, que la SACEM et la SCAM nous versent des royalties (le public adore, ça fait rock star)...
Et nous voilà lancés ! Je peux quitter mes notes, ils ont suffisamment de clés pour se lancer dans un échange constructif. Les questions foisonnent, les références à des films ou des séries fusent, on parle éthique, méthodes et processus de travail et, forcément, on glisse sur les séries et les fansubbers, à qui je mets une dose au passage, rassurez-vous. La même qu'à Netflix, dont je dénonce les pratiques de dumping tarifaire. Là, je conclus avec un florilège de "perles" de fansubs qui termine d'enfoncer le clou : en sortant de cette salle, vous avez appris les ficelles d'un vrai métier et, sans pouvoir le faire vous-même, vous êtes maintenant en mesure de formuler un jugement avisé sur la qualité d'une adaptation. Et M. Reverso de glisser à son épouse en sortant : "C'était super intéressant, dis donc. J'me coucherais moins bête ce soir."
Mission accomplie.