À moins de 2 mois de la prochaine remise des Prix du sous-titrage et du doublage, retour sur une première édition du Prix du doublage pleine d’émotion. Le 29 mars 2013, pour la toute première fois en France, des auteurs de doublage ont vu leur travail reconnu et récompensé, par un jury composé de confrères, de directeurs artistiques, de distributeurs…
Parmi ces jurés, un adaptateur de renom, Philippe Sarrazin, qui travaille régulièrement pour le cinéma (The Place Beyond the Pines, Dos au mur…) et a adapté des séries bien connues du grand public (The Shield, Lost…), a accepté de revenir sur cette expérience nouvelle et particulière et nous livre ses impressions.
C’était la toute première édition du Prix du doublage, donc un grand bond dans l’inconnu. Aviez-vous des attentes en intégrant le jury ? Et éventuellement des craintes ?
Tout d’abord, j’étais très content d’être là. Un peu flatté d’être sollicité comme jury, je l’avoue. Et puis avant tout heureux de l’initiative de l’ATAA, de l’occasion de rassembler les auteurs autour d’un événement, de les éclairer davantage grâce à ce prix. Une manière de faire parler notre profession silencieuse.
Ce que j’attendais ? Évidemment, c’était de l’échange. C’était une belle occasion de parler de notre métier, celui du doublage, que l’on soit DA [directeur artistique], distributeur ou auteur… Pas tant de faire de grands discours sur ce qu’est ou doit être une adaptation… Non, là , nous allions aborder la question de manière concrète: « J’ai aimé ou non telle adaptation pour telle ou telle raison. » Au-delà de nos grandes aspirations, notre appréciation des détails est le meilleur révélateur de notre manière d’aborder ce métier au quotidien. Ça ne pouvait donc être qu’enrichissant.
Des craintes ? Oui, celle du malaise à devoir juger le travail des autres. Mais elle a vite été dissipée dès la première réunion puisque le principe du Prix du doublage est de mettre un confrère ou une consœur en avant, et non en haut du podium.
Comment se sont déroulées les discussions avec les autres membres du jury ? Avec les autres auteurs, partagiez-vous la même vision de la qualité d’une adaptation ? Et avec les membres du jury producteurs et distributeurs ?
Nous avions tous globalement les mêmes attentes : le respect de la VO (tant en termes de sens que de registre de langue), le naturel des dialogues, la synchro. Mais quel est le bon mélange? 1/3, 1/3, 1/3 ? Qui a la priorité ? Chacun sa cuisine. Au pied du mur, face à une ligne difficile, certains auteurs privilégieront le respect de la VO, d’autres la synchro. Et chacun d’entre nous n’a pas forcément la même appréciation de ces différentes qualités. Des choses qui peuvent me choquer par leur caractère artificiel sembleront naturelles à d’autres. Comme des lignes que je vois synchrones peuvent en faire bondir certains. Et tant mieux. Cela permet de nuancer sa petite vérité personnelle.
Votre choix s’est finalement porté sur Pirates ! Bons à rien, mauvais en tout et Sur la route. Étaient-ce des choix faciles, évidents ? Qu’est-ce qui a motivé votre sélection ?
Une fois encore, il ne s’agissait pas de couronner le meilleur adaptateur de l’année, mais de mettre à l’honneur le travail d’un(e) adaptateur(trice). La grande injustice, c’est qu’il est toujours plus facile de faire du bon boulot en repassant sur du bon boulot. Jean-Philippe Puymartin et Thierry Wermuth, nos deux DA du jury, l’ont souligné dès la première réunion : il faut être conscient des éventuels écueils d’un film et de ses dialogues VO, et savoir apprécier isolément le travail de l’adaptateur. De même ne pas se laisser influencer par le jeu des comédiens. La tâche est parfois difficile…
Il reste que, selon moi, le travail de Bob Yangasa sur Pirates… est exemplaire. Je crois qu’on peut parler d’un vrai coup de cœur de l’ensemble du jury. Parce que très libre avec de très belles trouvailles ; et en même temps très respectueux de la VO. Complètement dans l’esprit, surtout. Et au final, c’est peut-être cela le plus ardu, le moins palpable de notre travail. Sans être hors sujet (respect du dialogue oblige), on peut passer à côté d’un film. Il faut trouver le « truc », l’esprit qui traverse le film et ses dialogues. Et Bob l’a clairement trouvé.
Pour Sur la route, il y avait une vraie difficulté particulière de départ. Je considère qu’aucun film n’est facile à adapter. Toujours pour cette histoire de « truc » à trouver. Mais le style, le ton, l’esprit, la grandiloquence des personnages de Sur la route étaient autant de pièges pour l’adaptatrice. On est vraiment sur le fil. Et puis c’était s’attaquer au roman-phare de la beat generation ! De quoi être impressionné. Claire Impens a brillamment relevé le défi… et trouvé le « truc ».
Que ressent-on à juger le travail d’un collègue ?
Il y a beaucoup de « Ah ouais, bien vu ! ». Un vrai plaisir devant de belles trouvailles. Globalement, j’ai été impressionné par la qualité du travail visionné. Alors, de l’humilité ? Oh oui ! C’est un très bon exercice pour l’ego. Et puis à d’autres moments, cela arrive, un désaccord voire une incompréhension totale du choix de l’auteur. Et le plus souvent, la découverte d’une autre manière de… On apprend beaucoup, forcément. Un confrère ou une consœur n’écrira jamais comme on le ferait soi-même. Et c’est bien la richesse du métier. Chaque auteur est unique !