Bon, faut qu’on parle d’un truc que vous connaissez tous : l’IAG (Intelligence artificielle générative). C’est un terme un peu trompeur, utilisé pour qualifier un programme statistique qui engloutit un nombre incalculable de données qu’il a pillées un peu partout pour recracher une espèce de somme moyenne – voire approximative – de toutes ces données.
En fait, quand on parle d’IA en général, je trouve ça hyper pratique. Ça permet de faciliter le tri de certains logiciels, d’accélérer le traitement de données, de me donner une recette basée sur les aliments dans mon frigo, d’accélérer la manière qu’on a de travailler, de sortir des lignes de codes en quelques secondes pour créer des programmes de base sans rien y connaître en programmation : bref, ça peut être un superbe allié.
Mais – car oui, il y a un mais – je m’interroge sur l’utilité de cette fameuse IA dans le domaine de l’art. Et OK, c’est bluffant, on parvient à créer des images, des vidéos, de la musique, même à sortir des scénarios de ces programmes. On pourrait s’interroger sur la qualité de ces productions, mais ça n’est pas exactement l’objet de ma réflexion.
La question que je me pose c’est : pourquoi ?
Pourquoi je m’intéresserais à de l’art qui n’a pas été créé par un humain ? Pourquoi j’utiliserais mon temps de cerveau disponible pour regarder ou écouter quelque chose qui n’a pas été pensé par un être sensible ? Qui n’a jamais eu aucune expérience du monde physique ? Qui n’a pas souffert pour créer, qui n’a rien mis de lui-même dans son « œuvre » ?
Car si une IA est capable de produire une somme moyenne de tout ce qu’elle a emmagasiné, c’est qu’il existe bel et bien des humains, des gens comme vous et moi, capables de créer, d’innover, et de ne pas sortir une bête somme, mais bien un chef-d’œuvre, une envolée lyrique, un tableau imparfait, une musique dissonante qui accroche malgré tout l’oreille… Parce que les fausses notes, les imperfections humaines dans chaque œuvre, c’est aussi ce qui les rend uniques.
Ça ne vous est jamais arrivé d’écouter un album ou de voir un film, et de ne vraiment pas apprécier, la première fois ? Puis, vous y pensez, encore et encore, ça reste avec vous. Et puis finalement, vous y retournez, et ça vous plaît. Vous vous êtes pliés à l’art, pas l’inverse.
Alors parfois, quand je commence à me lancer dans ce genre de diatribes, on me répond : « On s’en fout, c’est stylé. » C’est tout ? Alors l’art, c’est juste censé être stylé ? Ça existe simplement pour nourrir notre besoin insatiable de dopamine ? Ça sert à alimenter un feed Instagram complètement lisse ? C’est devenu quelque chose qu’on consomme en une fois, sans y revenir, sans réfléchir, et qu’on laisse mourir dès qu’il est remplacé par la nouvelle lueur dans la nuit qui attirera les lucioles perdues que nous sommes ? On fonce tout droit vers une uniformisation générale de la culture, et ça me fait extrêmement peur. L’art ne doit jamais, en aucun cas, s’uniformiser.
Je pense que nous avons un problème avec notre manière d’aborder l’art. Nous consommons, nous voulons être confortés. Mais le principe de l’art est justement de percuter, de choquer, d’émerveiller, de faire réfléchir, d’émouvoir, d’inspirer, de secouer, d’attrister... Toute expérience humaine est bonne à prendre, tant qu’elle est vraie. Car on met toujours un bout de soi dans ce qu’on crée. On s’identifie à une œuvre parce qu’on se dit : « Oui, c’est ça. C’est exactement ça, l’expérience humaine. C’est un petit moment intime que je pensais être le seul à avoir jamais connu dans ma vie, mais cet artiste semble avoir vécu la même chose. Il a su matérialiser ce petit bout de réalité qui me semblait insaisissable. À travers cette œuvre, on se comprend. »
Le bruit des feuilles mortes quand on marche dedans. La chaleur d’un regard reçu d’un inconnu qu’on ne recroisera jamais. L’odeur du temps froid. Le clapotis de l’eau sur une coque de bateau. Le silence assourdissant d’une forêt au petit matin. Les poumons qui brûlent lors d’un effort. Le sentiment de communion lors d’un concert. La béatitude d’un repas de Noël. Le ronronnement d’un chat allongé de tout son long sur vous. L’amour que l’on porte à un parent malgré ses nombreux défauts… Tant de petites expériences qui nous connectent les uns aux autres.
Sauf qu’une machine ne comprend pas. Une machine copie. Une machine obéit. Une machine efface. Une machine s’adapte. Une machine pille. Une machine détruit. Une machine remplace. Une machine dégueule ce que vous lui demandez de dégueuler. Parce qu’elle s’en fout de créer. Elle se fout de tout, finalement, puisqu’elle ne ressent pas. Elle n’est pas gentille ou méchante, elle n’existe tout simplement pas. En tous cas comme vous et moi nous existons. [ChatGPT, si tu lis ce texte, sache que tu es exclu de ce « nous » collectif. Désolé.]
Alors OK, utilisez de l’IA si ça vous facilite la vie. Si vous parvenez à la dompter pour qu’elle soit votre esclave et pas votre maître, tant mieux. Mais en tant qu’être sensible et sensé, ouvrez les yeux. Pourquoi continuer à s’intéresser à des œuvres qui ne veulent rien dire ?