Cette année, vous êtes membre d’un jury pour les prix de l’ATAA. Qu’est-ce qui vous a décidé à participer ?
Des membres du comité directeur de l’ATAA m’avaient déjà sollicitée par le passé pour faire partie d’un jury, mais j’avais toujours refusé essentiellement par manque de temps. En effet, être juré demande une véritable implication ! Mais cette année, j’ai considéré que c’était le moment de contribuer à cet événement, car c’est un important coup de projecteur sur le métier d’adaptateur. Un métier méconnu du grand public, car invisible quand il est bien fait !
Jusqu’ici, j’assistais seulement à la cérémonie annuelle de remise des prix. Pour moi, c’est the place to be ! Cette cérémonie est devenue l'événement incontournable de la profession. Chaque année, il y a de plus en plus de participants : auteurs, diffuseurs, distributeurs… C’est l’opportunité de réunir les acteurs de la profession et de parler de la qualité des adaptations, des méthodes de travail des traducteurs, de leurs difficultés et évidemment de récompenser un travail de qualité. Aujourd’hui, je suis ravie de participer, d’autant plus que je suis la seule représentante d'un service de streaming à faire partie d'un jury ATAA. C’est une première !
Quelle est votre mission au sein de Netflix ?
Je suis responsable de la ligne éditoriale des traductions Netflix en langue française. Mon rôle est de définir une terminologie qu'on retrouvera dans les traductions et adaptations (films, séries, documentaires, jeux vidéo), dans le choix des titres, et également dans la traduction de tout type de contenus que les abonnés français seront amenés à lire et à écouter. L’objectif est de faire en sorte qu'ils vivent la même expérience que ceux qui ont accès à la langue originale, et qu’ils puissent ainsi s’ouvrir à de nouvelles cultures et perspectives. Nos programmes ont pour vocation de voyager. Et la langue ne doit plus être un obstacle à la transmission de la vision artistique des réalisateurs et créateurs d'un programme. C’est crucial pour en apprécier toutes les nuances et obtenir une résonance auprès du spectateur français.
Plus concrètement, je m'occupe de tout ce qui a trait aux choix linguistiques et culturels. Je m'intéresse à l'évolution de la langue française et à l'impact d’un choix sémantique sur une traduction. Et ce, toujours dans le respect de la vision artistique de l'auteur d'un film ou d'une série ! Si nous avons de la vulgarité dans un dialogue en VO, on veut la retrouver dans le doublage et la VOST. En revanche, mon rôle est de sensibiliser les traducteurs au choix des mots et à leur impact. Par exemple, l'inclusion est un aspect très important de nos programmes, et de fait de la localisation. Nous souhaitons que nos abonnés se sentent représentés et respectés dans nos traductions et adaptations. En français, il peut arriver que des termes indirectement dégradants ou humiliants soient utilisés pour une catégorie de personnes. Je prends un exemple : il peut arriver que « I have autism » soit traduit par « je souffre d’autisme ». Dans ce cas, la VO ne parle strictement pas de souffrance. Mon rôle est donc de veiller à ce qu’on n’introduise pas des expressions discriminantes en français.
Veiller à ne pas transmettre de préjugés demande une vigilance de tous les instants…
En effet ! Moi-même, je dois me corriger. De fait, je vais être amenée à m'interroger sur la discrimination et les préjugés dans le langage. C’est pour cette raison que nous sommes en contact avec des associations LGBTQ+ ou représentant des personnes en situation de handicap… Nous les sollicitons pour avoir leur point de vue. Nos nombreux échanges nous permettent de faire un choix. Parfois, c’est compliqué ! Il n’y a jamais de vrai consensus. D’autant qu’il faut prendre en compte les contraintes audiovisuelles : le nombre limité de signes pour les sous-titres, le synchronisme pour le doublage… Mais à un moment donné, il faut trancher. Aussi, je prends cette responsabilité. Mais ce sont des choix décidés après avoir observé l'évolution des usages et après des discussions en interne. Quel langage est inclusif ? Pourquoi ? Voilà le genre de discussion que j'ai avec les équipes au sein de Netflix. Par ailleurs, rien n’est jamais figé, le langage est en constante évolution : un choix peut être valable à un moment donné et complètement différent quelques mois plus tard. Néanmoins, nous avons eu de très bons retours sur certains programmes. C’est une grande satisfaction.
Avec le recul, qu’avez-vous pensé de votre mission en tant que jurée ?
J'appréhendais les éventuelles divergences au sein du jury, ou plutôt que l’un des jurés veuille imposer son choix à tout prix… Finalement, nous étions alignés dans nos opinions. Malgré la situation sanitaire et les réunions en visio, l’ambiance était très sympathique. Nous avons des métiers différents – Anne Spileers, chargée de doublage à France TV, et moi-même, sommes plutôt « côté client » tandis qu'Emilie Barbier, Emeline Perego et Xavier Varaillon sont adaptateurs – pourtant, nous étions tous globalement d'accord sur les qualités attendues d'une adaptation VF. C’était intéressant que chacun apporte son point de vue et ses propres nuances, toujours dans le respect de l’opinion des autres. Surtout, j’ai trouvé passionnant d’échanger et d'écouter ceux qui font ce travail, à savoir les auteurs membres du jury.
Quelle a été la tâche la plus difficile dans votre mission de jurée ?
Incontestablement, le plus dur est de faire un choix ! Le jury doit distinguer une adaptation parmi d'autres bonnes traductions. Il faut donc constamment se rappeler que nous ne pénalisons pas les autres.
Ensuite, c'était frustrant de ne pas avoir accès aux noms des auteurs. Comme beaucoup dans le métier, j’ai cette déformation professionnelle : dans une salle de cinéma, je suis celle qui reste jusqu'à la fin du générique, malgré ses enfants qui s’impatientent… J'aime savoir qui se cache derrière des sous-titres ou un texte de doublage. Et aussi vérifier si j’ai correctement deviné le nom de l’adaptateur à son style d’écriture. Et quand je me trompe, quel bonheur d’être surprise et de découvrir de nouveaux auteurs ! J'ai une véritable passion pour les traducteurs. Peut-être parce que mon père faisait aussi ce métier…
À l’heure actuelle, nous observons une augmentation de l’activité et du nombre de contenus à adapter. Que pensez-vous de cette nouvelle donne ?
J'ai bien conscience que cette industrie est en pleine croissance. Personnellement, je trouve que c'est une chance : cela va donner davantage d'opportunités à l’ensemble des intervenants, à une nouvelle génération d'adaptateurs. Peut-être cela va-t-il permettre d'éviter un entre-soi que l’on observe parfois dans nos métiers où certains ont tendance à toujours faire confiance aux mêmes équipes… Moi, j'adore découvrir de nouveaux auteurs.
Cela va nous offrir davantage de diversité et de possibilités, notamment pour des genres en particulier, comme la comédie : pour avoir lu de nombreux textes, je peux dire que c'est vraiment un exercice très difficile. En doublage comédie, le plus important, c'est le rythme, la punchline et la fluidité des dialogues, alors qu'en VOST, on peut plus difficilement s'éloigner des blagues de la VO. Tous les adaptateurs ne sont pas à l'aise avec la comédie. Aussi, plus on connaîtra de traducteurs, plus ce sera simple, pour nous et pour les auteurs, de travailler sur un genre en particulier. J’ai tout le temps en tête la série Brooklyn Nine-Nine dont la VF et la VOST possèdent des styles complètement différents. C'est ma référence pour tout ! Toutes deux sont excellentes. Personnellement, j’adore regarder les deux, mes enfants aussi. Mais effectivement, pouvoir reproduire cela en français – cette dynamique, cette énergie – demande beaucoup de talent…
Enfin, être sur un marché en expansion va nous demander d’être curieux et d'ouvrir les portes. C'est un tournant après les deux années que nous venons de vivre, et c'est très enthousiasmant.