Interview de Carole Remy

Lauréate du Prix de l’adaptation en sous-titres
pour la série What We Do In The Shadows

Vous avez remporté le prix de l’adaptation en sous-titres pour la saison 3 de la série What We Do In The Shadows, en binôme avec Hélène Apter. Lors de votre discours, vous avez remercié de nombreuses personnes. C’était très émouvant.

Lors de la cérémonie, il m’a semblé naturel de remercier le labo et la chaîne qui m’ont donné l’opportunité de traduire cette série que j’adore. Avec Hélène, nous avons commencé à travailler sur ce projet à partir de la saison 2 et je remercie encore l’équipe de la version française pour sa collaboration, ainsi que les auteures de la saison 1 dont les sous-titres étaient géniaux. Leur bible a été une excellente base de travail. Évidemment, je ne pouvais que remercier les personnes avec qui je loue un espace de coworking et qui partagent mon quotidien. Ainsi qu’une de mes amies du métier qui m’a toujours soutenue au cours de ma carrière et avec qui j’ai beaucoup appris en travaillant en binôme.

Le prix de l’ATAA arrive à un moment où je me sens très épanouie dans ce métier, tant en termes de carrière que sur le plan intellectuel. Et quand le jury a déclaré dans son discours que nos blagues françaises les avaient fait autant rire que la version originale, j’avoue que cela a représenté le plus beau des cadeaux !

Carole Remy & Hélène Apter - Edition 2022

Dans le métier, le travail en coworking est plutôt rare. Quels sont les avantages selon vous ?

Je suis adaptatrice depuis 18 ans. À un moment, je n’ai plus eu envie de me retrouver seule, chaque jour, devant mon ordinateur. J’étais arrivée à saturation… Partager un bureau avec des confrères et consœurs du métier – nous sommes deux en voice over, quatre en doublage et deux en sous-titrage – m’offre un cadre de travail, et un espace dans lequel je me sens bien. C’est tout simplement génial de pouvoir se retrouver et d’échanger sur les programmes que nous devons traduire. Cela offre une véritable plus-value sur le plan humain, mais aussi en termes d’échange d’idées ou de prise de recul sur nos traductions. En découvrant une scène pour la première fois, les autres nous aident à trouver instantanément la bonne formule sur laquelle il nous arrive de buter. Cette entraide s’exerce aussi pour des mises en relation : grâce à mes confrères/consœurs, j’ai eu accès à une agrégée de maths qui a relu les contenus d’un documentaire sur l’infini que j’ai récemment traduit. C’est précieux !

Pouvez-vous nous parler de la série pour laquelle vous avez été primée ?

La série What We Do In The Shadows est tirée d’un téléfilm, Vampires en tout intimité, que j’avais adoré. Quelle joie que l’on m’ait proposé la saison 2 ! C’était un projet qui ne se refusait pas, même si je savais que cela représenterait un sacré défi. Le rythme de cette série est très rapide, les personnages parlent extrêmement vite. Il y a également beaucoup de changements de plans, ce qui oblige à être très synthétique pour éviter la superposition d’un sous-titre avec le plan suivant. Erreur que l’on évite car l’œil a tendance à relire la ligne de texte depuis le début. Quant aux personnages, ils mélangent des expressions désuètes à un vocabulaire moderne. Il faut trouver le juste milieu…

Avec Hélène, nous avons été très complémentaires sur cette série. Nous n’avons pas le même tempérament, ni la même manière de fonctionner, mais c’est ce qui nous a permis d’avoir des idées totalement différentes. Nos simulations se sont avérées des moments très productifs pour la qualité de la traduction. Et puis, c’est la première reconnaissance de notre travail !

Trouvez-vous plus difficile de traduire des comédies qu’un autre genre cinématographique ?

La comédie constitue un des genres les plus compliqués, au même titre que les programmes très techniques qui nécessitent de faire appel à des consultants. Actuellement, je traduis une série financière où les traders utilisent un vocabulaire très spécifique avec une élocution très rapide. Ce n’est pas une série simple à traduire ! En comédie, la principale caractéristique réside également dans le rythme rapide, dans l’abondance de jeux de mots et de réponses au tac au tac… Néanmoins, le champ est plus vaste en termes de cible et peut demander des qualités d’adaptation différentes. S’agit-il d’une comédie destinée à des adolescents ou à des trentenaires, une comédie très urbaine ou familiale ou encore une comédie musicale ?

À titre personnel, j’aime la comédie et j’en regarde beaucoup, principalement des sitcoms de 20-25 minutes. Je me considère comme une enfant de la télé : j’aime le langage parlé des fictions, l’instantanéité de la comédie, cette impression que les mots fusent. J’apprécie ce langage vivant. Écrire des sous-titres percutants, aller à l’essentiel, et surtout trouver le mot juste qui fera mouche est un exercice intellectuel particulièrement stimulant. Par ailleurs, j’ai fait mes armes en sous-titrage en traduisant des comédies. J’ai commencé par trois saisons de la sitcom Les Goldberg qui se déroule dans les années 80, et également la série Brooklyn Nine-Nine qui reste le programme le plus difficile que j’aie jamais traduit. À ce jour, j’ai traduit quatre ou cinq sitcoms sur plusieurs saisons. On peut dire que j’ai acquis de l’expérience dans ce genre.

Vous avez commencé votre carrière en faisant de la voice over. Comment avez-vous fait pour vous faire reconnaître en fiction ?

J’ai commencé à travailler en 2004, au lancement de Discovery en France. Avec leur montagne de documentaires à traduire ! A l’époque, un de mes profs de DESS m’a recommandée auprès du laboratoire en charge de Discovery qui est ainsi devenu l’un de mes premiers clients. C’est de cette manière que j’ai commencé à faire de la voice over. Et ce, pendant 10 ans. Pour qu’on me confie des fictions, j’ai commencé par démarcher le laboratoire en charge du sous-titrage des séries présentées au festival Séries Mania. Ce festival génère un important volume de programmes à traduire dans un court délai : le labo nous donne plus facilement notre chance. Pendant plusieurs années, on ne m’a confié qu’un seul épisode par festival. Et à force de persévérance – et du soutien de mon entourage professionnel et familial – j’ai finalement obtenu l’adaptation d’une série complète. Ensuite, cette série m’a mis le pied à l’étrier pour pouvoir aller démarcher d’autres labos.


Malgré le cloisonnement des genres, vous parvenez à maintenir une activité en fiction et dans une moindre mesure en voice over. Comment arrivez-vous à cet équilibre ?

Au cours de mes études, j’ai retenu un conseil : ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier ! D’autant que certaines collaborations peuvent s’interrompre : un de mes clients a arrêté de faire de l’audiovisuel, un autre pratique désormais des tarifs trop bas, certaines chaînes disparaissent… De fait, j’ai beaucoup de clients, près d’une dizaine. Cela me rassure. Et j’ai fait le choix de conserver deux-trois clients de voice over pour qui je traduis un ou deux documentaires par an. Je fais toujours en sorte de conserver du temps pour eux, et donc de garder le contact. Pour certains clients, je n’ai parfois qu’un seul projet dans l’année. Un projet qui peut prendre un mois. Pendant le confinement, cela m’a permis de continuer mon activité en traduisant des documentaires ou des programmes de télé réalité qui étaient en stock. Cela a compensé l’arrêt des tournages. Du moins jusqu’à ce que les studios ferment à leur tour.


Entreprenez-vous toujours des démarches commerciales ?

Quand j’ai suivi mon DESS traduction, je n’avais pas conscience de me diriger vers un statut de free-lance… Pour me lancer, j’ai passé quatre jours à Paris pour distribuer en mains propres mon CV auprès de tous les laboratoires que j’avais préalablement listés. Tout cela au prix d’énormes efforts, car j’étais de nature timide. Néanmoins, j’ai décroché ainsi l’un de mes premiers clients. Par la suite, j’ai toujours tenté d’ajouter de nouveaux clients à mon carnet d’adresses et de relancer ceux que j’avais déjà. Cela me permet de diversifier le profil de ma clientèle et également de comparer les conditions de travail et les tarifs. Il faut aussi savoir se montrer : assister à l’enregistrement des programmes, rencontrer ses clients... Pour qu’ils retiennent davantage notre nom, notre visage… De cette manière, on peut développer un meilleur relationnel. Et si j’identifie un programme qui m’intéresse vraiment, je démarche les labos pour leur proposer ma collaboration. Il m’arrive de tomber au bon moment et qu’on me confie immédiatement un projet. C’est aussi une question de chance. Néanmoins, il faut trouver le juste milieu : relancer sans harceler.


Vous avez déjà fait partie du Conseil d'Administration de l’ATAA. Pouvez-vous nous parler de cette collaboration ?

Lors de mon installation à Paris, je me suis immédiatement impliquée à l’ATAA : une première année au CA sans poste, et ensuite trois-quatre ans à la trésorerie. Je sais que le CA de l’ATAA abat une montagne de travail. Comme aujourd’hui avec les auteurs de VF qui se sont associés pour renégocier leurs tarifs. C’est très positif. Les auteurs de sous-titres n’ont malheureusement pas ce poids : si les plateformes s’attachent à la qualité du doublage, ils sous-traitent très souvent leurs sous-titres à des tarifs très bas ou à l’étranger… Personnellement, cela m’inquiète pour notre avenir car le sous-titrage est souvent perçu comme accessoire. Par ailleurs, les tarifs ne sont que très rarement revalorisés. Ils stagnent le plus souvent, quand ils ne baissent pas. Les délais se resserrent sans arrêt et on nous demande toujours plus de tâches complémentaires sans forcément prévoir de rémunération. Cependant, je sais que le dur labeur de l’ATAA porte ses fruits ! Sans cette association, le métier n’en serait pas là : nous ne serions que des individualités qui se débattent chacune de leur côté. Aujourd’hui, la solidarité domine et c’est aussi grâce à notre organisation.

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