Interview de Lou Potier

Lou Potier, fondatrice et directrice associée de Telos Adaptation

Cette année, vous avez été jurée ATAA pour le prix de l’adaptation en sous-titrage d’une série. Parlez-nous de cette première fois.


Être jurée a été une expérience intéressante et extrêmement enrichissante ! J’ai aimé ce travail collégial, réalisé sur un temps long, ce cheminement sur toute une année... J’ai beaucoup appris, d’autant qu’on n’a jamais fini de se perfectionner sur ce qui définit un bon sous-titrage ou une bonne adaptation. Je me suis aussi investie dans cette mission car les prix ATAA me semblaient complètement en phase avec le positionnement de TELOS Adaptation qui essaie de valoriser ce métier en s’inscrivant dans une démarche éthique, qui vise la plus grande qualité. Car ce métier relève de la transcréation. Il nous faut toujours être à la hauteur de l’œuvre.

Selon vous, à quels indicateurs reconnaît-on un bon sous-titrage ?

Lorsqu’on regarde un film en français langue originale ou doublé, le cerveau reçoit le son et l’image de manière instantanée. Regarder un film en VOST requiert au contraire un effort de lecture. Le sous-titrage est un travail d’horloger qui demande de recréer une harmonie, tripartite cette fois, entre l’image, le son et l’écrit. D’ailleurs, les sous-titres ont cela de forts qu’ils relèvent à la fois de l’écrit et de l’oral. On doit « entendre » les personnages. En fait, un bon sous-titrage est un sous-titrage qui s’oublie, qui ne donne pas l’impression d’être lu. La simplicité et la synthèse sont des exercices plus complexes qu’on ne le pense. Outre cet exercice de synthèse, il y a la saveur : l’auteur y met ce supplément d’âme qui donne quelque chose de beau, de fin. Pour laisser vivre l’émotion… Tout cela dans un cadre qui répond à des règles, des normes, des contraintes précises. Ça me fait penser aux fameuses « gênes exquises » dont parlait Paul Valéry au sujet de l’écriture poétique et qui s’applique parfaitement au sous-titrage. Et si le résultat n’est pas à la hauteur, c’est le film qui est desservi.


Quels sont les enjeux d’un bon sous-titrage ?

Les sous-titres influencent la vie d’un film. Ils peuvent considérablement l’appauvrir ou au contraire le révéler. Le sous-titrage est – avec le doublage – le seul moyen d’accéder à une œuvre étrangère. Pour preuve, il m’est arrivé d’entendre des journalistes dire : « Comment a-t-on pu passer à côté de ce film ?! C’est incroyable… Là, on le redécouvre ! ». Je pense que c’est à cause du sous-titrage. Quand on traduit du portugais du brésil ou du japonais – avec les différences culturelles que nous pouvons imaginer –, des sous-titres pauvres ne peuvent que faire perdre du sens. Cette question relève également de la saveur dont je parlais précédemment. Dans un film, on vient chercher un panel d’émotions très fortes. Si une œuvre ne parle pas, si elle reste bouche cousue, elle ne peut pas être transmise, ni toucher les spectateurs.


Au sein du jury, vous demandiez systématiquement si une simulation avait bien été réalisée. Pourquoi cette précision vous semblait-elle essentielle ?

Toutes les étapes du sous-titrage sont importantes, et la simulation me semble essentielle : c’est le visionnage du film par le « spectateur zéro » ! La première fois où les sous-titres sont lus avec un regard totalement neuf. Cette étape permet un véritable recul. Souvent, alors que toutes les répliques nous semblent totalement lisibles, le simulateur bute encore sur une tournure complexe ou alambiquée que le cerveau ne peut pas intellectualiser. La simulation nous permet de peaufiner le sous-titrage, de le rendre parfaitement homogène et beau. Chez Telos, nous avons aussi l’habitude d’organiser, pour les langues rares, une pré-simulation, où se retrouvent les traducteurs des langues à l’œuvre, l’adaptateur et le simulateur, pour nous assurer que toutes les nuances sémantiques sont bien respectées.

J’adore ce moment de la simulation car c’est le lieu d’une belle synergie entre tous les acteurs du sous-titrage.


Aujourd’hui, nous observons que les adaptateurs sont devenus une variable d’ajustement. En tant que labo, subissez-vous également cette pressurisation des tarifs ?

Chez Telos, nous la subissons mais moins que nos concurrents je pense, car notre modèle économique est différent. Nous sommes probablement l’un des plus petits labos de France ! Dès le départ, j’ai fait le choix de ne pas me lester de studios que j’aurais été obligée de rentabiliser en acceptant tous types de programmes et de fortes négociations. Ainsi, je n’ai pas eu besoin d’aller tout de suite vers l’« océan rouge1 » dans lequel navigue la plupart de mes confrères, en recherchant le volume que peuvent apporter des plateformes par exemple. Chez Telos, nous mettons à l’honneur notre savoir-faire dans son sens artisanal. Nous ne cherchons pas le volume mais des films que nos clients veulent bichonner. C’est notre pari ! À nos débuts, Arte était notre principal client, c’est grâce à eux que nous avons pu nous construire et nous développer. Au fil du temps, nous avons attiré des clients dans la même veine recherchant des prestations et un accompagnement sur-mesures. Aujourd’hui, nous sommes tout autant sollicités par des diffuseurs, des producteurs, des festivals de cinéma que des distributeurs.


Que pensez-vous du marché actuel de l’adaptation audiovisuelle ?

J’observe une tendance à double vitesse. D’un côté, les films destinés à une sortie en salles de cinéma ou en prime à la télé, dont les budgets permettent un travail confortable et de qualité. Et de l’autre côté, tout un volume de programmes pour lesquels les tarifs sont négociés d’une manière que je qualifierais d’agressive. Les diffuseurs disposent d’une enveloppe budgétaire circonscrite pour financer leurs adaptations : raisonner en tarif à la minute, plutôt qu’au sous-titre, facilite cette évaluation. Seulement, ce mode de calcul a complètement déséquilibré l’économie des auteurs. Les laboratoires peuvent s’en sortir en échange d’un volume d’affaires : ce qui est perdu sur un programme chargé en sous-titres est récupéré sur un autre avec peu de dialogues. Mais c’est là que se situe l’injustice pour les adaptateurs : comment faire pour que l’auteur qui a reçu un programme très chargé puisse compenser avec un programme doté de peu de sous-titres ? Cela semble quasi-impossible. Même avec une organisation béton, peut-être que l’auteur ne serait pas disponible.


Dans le milieu, quels changements recommanderiez-vous ?

J’observe un décalage entre le pôle commercial qui négocie les tarifs et les délais, et le pôle production qui organise les travaux. Quand on est décorrélé du « faire », on a du mal à comprendre les contraintes des différents métiers et les délais indispensables à la création. D’autant que le volume de projets tend à transformer les chargés de production en administrateurs Excel. Or, le propre des labos est de coordonner des métiers très différents, dont il faut connaître les enjeux pour créer une synergie. Il me semble indispensable de laisser à ces chefs d’orchestre le temps de penser leurs projets et leur métier. Il conviendrait de recréer du sens dans ce contexte où se multiplient les programmes, les plateformes, les prestataires... Enfin, il ne faudrait pas que des solutions exceptionnelles deviennent une pratique, comme réutiliser le texte du doublage pour le sous titrage. Par souci d’économie, on en vient parfois à des aberrations délétères pour notre profession.


Pensez-vous que la qualité du sous-titrage puisse avoir un impact commercial ?

Pour moi, c’est une évidence ! Rogner sur les coûts du sous-titrage est une fausse économie. Récemment, nous avons travaillé pour un nouveau client distributeur – à qui j’avais refusé de baisser nos tarifs – pour la traduction en anglais (voix et sous-titrage) de son catalogue pour l’international. Quelques mois après la livraison, il m’a informée que ses ventes avaient progressé grâce à nos versions anglaises. Et, chose rare, la BBC et PBS avaient diffusé notre version sans modifications. Non seulement, le distributeur a récupéré son investissement lors de la commercialisation, mais il a également gagné en réputation auprès de ses clients.

Autre exemple qui prouve que c’est une fausse économie : je me souviens d’un film documentaire traduit du portugais brésilien diffusé au festival FIPADOC il y a quelques années. Nous étions tous sortis de la salle dépités et frustrés de ne pas avoir compris tous les dialogues. Je pense même que ce documentaire est passé à côté du prix à cause de ses sous-titres réalisés en salle de montage. Le producteur m’a avoué qu’ils étaient en fin d’enveloppe budgétaire et qu’il pensait faire une économie. Quand il m’a demandé mon estimation, il a compris qu’il avait finalement payé le double d’une prestation en labo !


Dans ce contexte actuel, quel rôle joue l’ATAA selon vous ?

Je vois l’ATAA comme une sorte de boussole. Quand je recrute de nouveaux collaborateurs, mon premier réflexe est de me tourner vers l’ATAA et de consulter son annuaire. Par ailleurs, je n’hésite pas à envoyer les recommandations de tarifs de l’ATAA à mes clients. C’est essentiel qu’ils comprennent ce que la profession considère comme un tarif correct. Je me bats pour conserver des tarifs au sous-titre et ne pratique les tarifs à la minute que dans des cas exceptionnels. Par ailleurs, j’essaie de défendre des délais corrects de fabrication. Car nous sommes au service d’une œuvre autant que d’un client. Un planning réduit met en péril la transcréation de l’œuvre.

C’est justement pour toutes ces raisons que je suis ravie que les critères de sélection des prix ATAA intègrent la question des tarifs, des délais et de la signature. Surtout à un moment où les pratiques de beaucoup de labos se systématisent. Et pas forcément dans le bon sens… Quand j'entends certains parler de « produits » pour désigner les films, je trouve que ça en dit long sur la posture adoptée. Aujourd’hui, la tendance du marché va vers beaucoup de volume et de contenus. Mais je considère qu’il y aura toujours des producteurs, diffuseurs et distributeurs qui voudront servir l’œuvre qu’ils portent en y mettant les moyens. Et notre rôle est de les conseiller : c’est une dimension importante de notre travail.

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