Le jury de l’ATAA vous a décerné le prix en doublage pour une série d’horreur. Parlez-nous de ce genre cinématographique.
En 2011, l’adaptation de la série American horror story a été confiée à la société de doublage Dub’Club que je dirigeais avec mon ex-compagne Melody Dubos, également directrice artistique. À l’époque, le film d’horreur était un genre abandonné, faute de style. À l’exception de Scream, on trouvait surtout de nombreux navets comme Halloween 3 et 4. A sa sortie, American horror story a marqué un renouvellement du genre en déclinant le concept sous forme de série, avec une nouvelle histoire à chaque saison. L’attrait pour cette série et ce genre cinématographique a connu une renaissance. Un impact auquel on ne s’attendait pas.
Pour la saison 1, j’ai recherché un traducteur compétent à l’excellente réputation. J’avais entendu parler de Nicolas Mourguye et quand je l’ai contacté, il a tout de suite été partant. Il disait qu’il aurait tué pour avoir cette série ! Immédiatement, il y a eu une alchimie entre nous. Nous avons la même façon d’écrire et la même philosophie du métier : de ce point de vue, je le considère comme mon alter ego. American horror story a été notre première collaboration et depuis, nous continuons à travailler ensemble.
Après American horror story, j’ai été « abonné » aux séries d’horreur du moment. Avec Melody, nous avons notamment travaillé sur la série de l’Exorciste, Scream Queens et pléthore de séries d’horreur que nous confiait la Fox, un de nos importants clients.
Nicolas et vous avez été récompensés pour la saison 9. Qu’a-t-elle de spécifique ?
L’action de la saison 9 se déroule dans les années 80 et rend hommage à ce qu’on appelle les slashers tels que Vendredi 13, Halloween et tous les anciens films. Par chance, c’était notre époque ! Nous possédions déjà de nombreuses références. Pour cette saison, le défi consistait à calquer la manière de doubler des années 80. À l’époque, les adaptateurs prenaient davantage de liberté et les répliques pouvaient être très éloignées de la VO. Il arrivait même qu’il y ait des erreurs techniques. Par exemple, « gun » était généralement traduit par « revolver » – beaucoup plus synchrone – au lieu de pistolet. La synchronisation primait sur la VO et sur le texte. On pouvait s’éloigner du sens, alors qu’aujourd’hui ce serait inenvisageable. Mais pour donner sa couleur à cette saison, nous avons pris certaines de ces libertés. Avec Nicolas et les sous-titreurs, nous avons aussi francisé les noms, comme cela se faisait. Ainsi, nous avons traduit le nom du tueur d’American horror story : Mister Jingles est devenu monsieur Grelots. Certains regrettent que cela ne sonne pas anglais. Pourtant, cela « colle » parfaitement à un doublage des années 80 ! Il suffit de penser à Star Wars : Dark Vador n’a rien de fidèle à Darth Vader, mais c'est resté… Dans les doublages des années 2020, Mister Jingles serait resté le mystérieux monsieur Jingles ou Mister Jingles. Personne n’aurait imaginé le traduire. Dans les doublages des années 80, c'était l’inverse : tout était traduit ! Ce sont tous ces petits détails qui ont donné sa spécificité à notre doublage.
La richesse de cette adaptation tient également à l’harmonisation avec les sous-titres. A partir de la saison 8 – après le rachat des droits par Canal+ à la saison 7 – nous avons commencé à travailler avec l’équipe des sous-titreurs. Cette collaboration avec Damien Armengol et Aurélie Labrosse s’est déroulée dans une alchimie complète. Pour American horror story, sous-titrage et doublage sont entremêlés, ce qui donne énormément de force. Au sein de l’équipe, nous travaillons tous main dans la main avec la même implication. La production nous fait confiance, ce qui nous permet d’échanger en direct sans forcément passer par le chargé de production. Cette méthode est très productive et notre communication parfaite.
D’où vient cette alchimie que vous parvenez à développer avec vos collaborateurs et confrères/consœurs ?
Cette ambiance de travail tient initialement à la structure de Dub’Club, qui était représentative des boîtes de doublage qui existaient il y a 20 ou 30 ans. Toutes étaient des entreprises familiales comme l’Européenne de doublage, le studio Start (Jacques Barclay), Claudio Ventura, etc. Au fil du temps, ces acteurs ont été rachetés par des groupes. Désormais, ce modèle familial n’existe quasiment plus, hormis à Libra Films, Re/Al Audio et deux ou trois petites sociétés indépendantes. Dub’Club permettait cette cohésion entre tous les acteurs. Aujourd’hui ce sont les chargés de production des labos ou studios qui centralisent tout.
Pouvez-vous nous parler de l’époque de Dub’Club ?
Avec Melody, nous avons repris l’entreprise de ses parents, Marianne Dubos la gérante de Dub’Club (également directrice artistique et détectrice), et Régis Dubos, adaptateur. Nous étions installés à la campagne dans une bâtisse de 300 m2 dont tout une aile accueillait un studio. Les comédiens venaient manger à la maison le temps de leur enregistrement. C’était convivial. Patrick Floersheim, la voix française de Michael Douglas, nous avait même surnommés « l’auberge du doublage ».
En 2018, au moment de la saison 7 d’American horror story, il a été de plus en plus difficile de tenir l’entreprise, du fait de la lourdeur administrative, des nouvelles normes et certifications… Par ailleurs, je ne parvenais plus à adapter tout en gérant la société. Aussi, nous avons décidé d'arrêter et de transférer nos séries restantes – en accord avec la Fox – chez Libra films. C’était déjà un de nos partenaires puisque tous nos travaux vidéo (reports, inserts, génériques français) leur étaient sous-traités. Avec Melody, nous avons gardé la seule partie artistique à savoir la direction artistique et l’adaptation.
En 2021, qu’avez-vous ressenti en recevant le prix de l’ATAA ?
Cela m’a beaucoup ému : c’était une reconnaissance ! Ce prix me donne une légitimité. Cela est d’autant plus important pour moi que je me suis formé sur le tas. J’ai été formé par Régis Dubos et par Jean Fontaine, comédien de doublage et adaptateur génial des versions québécoises de Tueurs nés et Dans la ligne de mire. Pendant 15 ans j’ai dirigé Dub’Club : à ce titre, il m’était impossible de savoir ce que je valais comme adaptateur. Par ailleurs, ce statut de patron de boîte me rendait inéligible aux prix ATAA. Aussi, c’est donc une double récompense !
Cette année, vous faites partie du jury pour le prix d’adaptation d’une série en doublage. Comment vivez-vous ce changement de rôle ?
Le travail de juré n’est pas évident… Ce n’est pas simple de départager des adaptations qui sont toutes impressionnantes. Il convient d’examiner à la fois la fidélité, la synchro, le rythme, la fluidité des dialogues, le niveau de langage… Vérifier également s’il y a des problèmes de traduction… Et comment évaluer une série quand on sent une disparité entre deux auteurs ? Néanmoins, j’ai été étonné que tous les jurés aient les mêmes ressentis. Nous étions d’accord, nous faisions les mêmes remarques au même moment : nous avons travaillé comme un seul homme.
Est-ce que ce travail critique vous a permis d’avoir un œil neuf sur votre propre travail ?
Oui, en effet. Mais c’est une démarche que j’avais déjà mise en place. J’ai l’habitude de regarder beaucoup de films de cinéma et de VF. J’observe la manière dont mes confrères et consœurs adaptent, leurs structures de phrase… Cela me permet d’évoluer. Par ailleurs, j’essaie d’aller le plus souvent possible en studio pour voir ce que « donnent » mes épisodes au moment de l’enregistrement. C’est essentiel de savoir comment le comédien se sent avec les répliques, comment il les modifie. Il ne faut pas être amoureux de son texte. D’autant qu’il arrive qu’un comédien trouve immédiatement LE mot que l’on a cherché pendant trois jours ! Un texte doit pouvoir évoluer.
Dans notre métier, l’adaptation n’est qu’une branche. Si le texte n’est pas bon, ce sera compliqué à l’enregistrement. Et même si l’enregistrement est à la hauteur, le mixeur peut ne pas parvenir à retranscrire l’ambiance… La qualité d’un doublage tient à un équilibre entre la détection, l’adaptation, le comédien, la direction artistique et le mixage. Tout cela constitue un écosystème. Si une partie est ratée, c’est l’ensemble qui s’en ressentira.
Que pensez-vous des évolutions actuelles du secteur audiovisuel ?
Les sociétés de doublage ne se rendent plus compte du temps nécessaire à notre travail. Les délais deviennent de plus en plus fous. Les distributeurs craignent le piratage, aussi les versions multilingues doivent sortir le plus vite possible. « Cinquante » doublages sont réalisés en même temps. Mais certains pays livrent plus rapidement… De mon côté, je réalise 10 minutes d’adaptation par jour. Nous travaillons en flux tendu sur des images non définitives pour ensuite réaliser la conformation. Or, notre métier demande du temps, c’est un métier de création. À l’heure actuelle, nous sommes davantage considérés comme des techniciens dont on rationalise les plannings sans laisser place aux impondérables.
Cependant, le secteur est en train d’évoluer. Depuis le déconfinement, les sociétés de doublage sont surchargées de projets du fait des plateformes. Aujourd’hui, il est totalement inédit que l’on me demande mes disponibilités sur trois mois, et que l’on me bloque ces dates – même sans savoir quel projet me sera confié. Dans ce contexte, il est possible de renégocier les tarifs. De ce point de vue, j’observe une bonne dynamique entre les auteurs.
Pour revenir aux prix de l’ATAA, avez-vous un petit mot de la fin ?
Les prix de l’ATAA sont totalement uniques dans nos métiers. Ce sont les seuls qui existent et j’en remercie l’ATAA. En 2021, la crise covid a empêché la remise des prix d’être une fête… Cette réunion familiale m’a réellement manqué. J’ai hâte que l’ensemble de la profession se retrouve le 14 juin prochain !