Félicitations pour votre prix pour l’adaptation en sous-titrage de la série What We Do In The Shadows ! Cette récompense a-t-elle une valeur particulière à vos yeux ?
De 2018 à 2021, j’ai été jurée pour les prix ATAA sous-titrage cinéma, donc je sais tout le décorticage et toutes les discussions qui ont dû avoir lieu pour attribuer ce prix. En tant que membre du jury, nous y consacrons beaucoup de temps : nous sommes attentifs à chaque détail, nous cherchons la petite bête… Aussi, je suis d’autant plus touchée et flattée que mon travail soit reconnu par des consœurs/confrères et des professionnels du métier qui savent vraiment ce que cela implique. Et c’est un grand honneur, même si je ne réalise pas encore tout à fait.
Parlez-nous de la série What We Do In The Shadows.
Cette série comique raconte les aventures de vampires multi-centenaires, vivant en colocation depuis 200 ans. Très chargée, avec parfois plus de 600 sous-titres pour 22 minutes, l’adaptation de ce programme prend du temps et demande du recul. Il faut constamment y revenir. À titre personnel, j’écris généralement un premier jet que j’affine au fur et à mesure. Pour What We Do In The Shadows, un sous-titre sur deux exige de se creuser la tête pour traduire un jeu de mots, une subtilité ou une référence culturelle. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, c’est une série assez intello qui s’adresse plutôt à des quadras – entre autres –, et non à un public adolescent. Il y a énormément de clins d’œil et de retours en arrière. Le scénario évoque autant les années 70, que les années 80 ou 90, et intègre de nombreuses références culturelles et historiques, comme un président américain du début du 20e siècle ou une chanson des Années folles. Certaines font référence aux informaticiens ou au monde des arts ou de la musique. Et on voyage beaucoup. Ainsi, il a fallu faire beaucoup de recherches et recourir à de nombreuses connaissances, comme pour les personnalités évoquées de manière fugitive : sont-elles connues des Français ? Faut-il les garder ou pas ? Adapter d’une manière ou d’une autre ? Certaines références sont anecdotiques, mais il ne faut pas passer à côté. En effet, l’intention peut changer tout le sens et certaines blagues ne peuvent être comprises qu’en fin d’épisode. Il m’est arrivé de ne comprendre certaines subtilités qu’en en parlant avec Carole Remy ma binôme, ou l’un de mes collègues de doublage. Cette série fuse dans tous les sens ! Enfin, chaque personnage possède sa manière propre de parler, et il a fallu leur donner un ton, un langage...
La comédie est un genre réputé difficile. Selon vous quelle est la principale qualité d’un adaptateur de comédies ?
C’est une question difficile… Au naturel, je n’ai pas tellement le sens de la répartie et possède un esprit d’escalier. Mais j’aime l’humour, les humoristes, ainsi que les séries, les gens drôles et les joutes verbales. On me dit parfois que je suis drôle, mais j’ai toujours besoin d’un support pour écrire. Dans notre métier, on ne part pas de zéro.
Est-ce que traduire une comédie influence votre humeur personnelle ? Est-ce plus léger de travailler sur une série humoristique ?
Personnellement, je ne ris pas toujours au moment où je travaille car je suis trop concentrée et je suis tout de suite focalisée sur la traduction. Je suis trop stimulée par le travail, trop pressée de manipuler et d’effectuer ce travail cérébral. Finalement, je ris surtout quand le travail est fini. Néanmoins, cela reste plus joyeux de traduire des comédies. Je me souviens d’un travail de voice over sur des engins de démolition qui était vraiment déprimant et horrible à faire. En fait, je préfère de loin qu’on me confie des séries sympas : cela offre quand même de la légèreté, bien que l’enjeu reste élevé.
Sur l’annuaire de l’ATAA, on peut lire que vous être Franco-britannique et bilingue. Pourquoi ne traduisez-vous pas vers l’anglais ?
Au début de ma carrière, je traduisais à la fois vers l’anglais et vers le français, mais j’ai très vite été cataloguée comme anglophone chez certains clients. À un moment, on ne me proposait que des traductions vers l’anglais, d’autant que nous sommes moins nombreux sur le marché. Cependant, je préfère traduire vers le français. J’ai grandi dans un environnement bilingue, mais je n’ai jamais vécu en Angleterre, donc je suis plus à l’aise en français et avec mes collègues français. Peut-être que cela me donnait des complexes de travailler avec des consœurs/confrères anglophones à 100 %. Ils me semblaient plus compétents. Finalement, pour ne pas m’enfermer dans cette case-là, j’ai préféré me consacrer uniquement ou presque, à l’adaptation vers le français.
D’un point de vue économique, est-ce que la crise Covid a eu un impact sur votre activité ?
J’ai eu beaucoup de projets de traduction pendant le confinement. A contrario, en 2021 j’ai passé de longs mois sans travail, aussi j’en ai profité pour me former au doublage. Pourquoi est-on parfois beaucoup sollicité ? Pourquoi certaines périodes sont totalement creuses ? Je n’identifie pas d’explication, ni de tendance générale. D’autant que nous ne connaissons pas tous les mêmes variations au même moment. Mais à titre personnel, je n’ai pas l’impression de faire partie du top 5 des traducteurs que mes clients appellent en priorité. Il faut dire que je suis d’un naturel très discret même si j’adore ce métier que j’exerce depuis plus de 20 ans. Parfois, le travail vient par l’intermédiaire de collègues. Ça a d’ailleurs été le cas pour What We Do In The Shadows, car c’est Carole Remy qui m’a proposé d’être son binôme. La solidarité et l’entraide dans ce métier sont très importantes, de mon point de vue. Nous travaillons dans un secteur difficile qui ne suit pas l’inflation, et je suis admirative et reconnaissante des actions de l’ATAA pour défendre la profession, et valoriser le travail d’équipe. Nous devons rester solidaires, notamment en refusant des tarifs bas qui nous desservent tous. Et c’est aussi grâce à l’ATAA qu’on peut essayer de prévenir ce risque. Pour moi, c’est capital !