Vous avez reçu deux prix ATAA, un prix cinéma et un autre séries ! Félicitations !
Oui, j’ai été surprise d’être nommée dans les deux catégories. Mais c’est bien la preuve que les jurys sont indépendants et ne se concertent pas à l’avance !
Lors de votre deuxième montée sur scène, vous vous êtes exprimée sur la dégradation des conditions de travail des adaptateurs, notamment pour la télévision. Qu’est-ce qui vous a motivée ?
J’ai reçu deux prix dans deux catégories considérées comme "différentes". Mais je voulais rappeler que nous faisons le même métier, malgré des conditions de travail qui divergent de plus en plus. Si ces dernières se maintiennent dans le cinéma, il est vrai que les tarifs ont baissé pour la télévision.
Quand j’ai commencé ma carrière il y a 25 ans, il était beaucoup plus facile d’exercer. Il y avait notamment peu de concurrence. Quand j’étais étudiante, l’option audiovisuelle s’obtenait sur concours, et dans ma promotion, nous n’étions que deux ! Désormais, à cause de la multiplication des masters audiovisuels, la profession compte un nombre croissant de traducteurs. Par ailleurs, on nous confiait immédiatement du travail. Dans mon cas, j’ai eu envie de devenir free-lance après 3 ans passés au sein du laboratoire LVT – aujourd’hui connu sous le nom de Hiventy. Pendant cette période de salariat, je me suis occupée de simulation, de repérage et de relecture. J’y ai aussi rencontré de nombreux distributeurs et représentants de chaîne. Et quand je me suis lancée en indépendante, cela n’a pas présenté de difficulté.
L’arrivée des chaînes du câble a par la suite généré d’énormes volumes de travail. Mais en parallèle, le métier a beaucoup changé. Outre la baisse des rémunérations, la plupart des auteurs sont désormais sollicités pour des tâches techniques initialement dévolues aux laboratoires (repérage, simulation…). L’arrivée des plateformes telles que Netflix n’aide pas non plus à aller dans le bon sens. Aujourd’hui, je réalise le sous-titrage de plusieurs séries et de quelques films par an, mais je ne sais jamais plus de six mois à l’avance ce qu’on va me confier.
Vous avez été récompensée pour Cro Man. Comment s’est passé le travail pour ce film d’animation ?
Après m’avoir sollicitée pour l’écriture d’une petite bible sur les personnages du film, Jean-François Couturier, responsable doublage et sous-titrage chez Studio Canal, m’a confié l’écriture des sous-titres. A cette occasion, j’ai eu la chance de travailler de concert avec Philippe Sarrazin à qui on avait commandé la version française. Alors que les circonstances ne le permettent pas toujours, dans le cas de ce film, les sous-titres et la version française ont été écrits durant la même période. Cette concomitance nous a permis d’accorder nos violons. Avec Philippe, nous avions déjà travaillé en binôme : se connaître et s’apprécier a contribué à l’enrichissement du texte. Cette collaboration nous a rendus plus créatifs dans les jeux de mots, ainsi que pour les noms de personnages. Cela a généré de vraies trouvailles !
Vous avez également pu assister à la vérification de la version française.
Oui, en effet. Cela a été un atout supplémentaire pour l’adaptation. Dans ce cadre, le texte prend vraiment vie, d’autant que Philippe a pour habitude de bien jouer le texte, ce qui le met en valeur. On a ainsi pu se rendre compte de l’effet produit des dialogues, surtout que les personnages de pâte à modeler de Cro Man sont particulièrement expressifs. Cette opportunité m’a permis de gagner du temps et de garantir une grande cohérence. J’ai pu peaufiner les sous-titres, notamment en identifiant les répliques qui marchaient et celles qui ne fonctionnaient pas. Voir la réaction des clients est précieux : on comprend tout de suite ce qui plaît.
Votre travail sur la série Counterpart était totalement différent. Pouvez-vous nous en parler ?
J’ai travaillé en collaboration avec Delphine Hussonnois pour les sous-titres. Les deux premiers épisodes ont été les plus difficiles : il a fallu rentrer dans l’univers très particulier de cette série, trouver la terminologie et le ton juste, d’autant que le héros est double. Chaque alter ego possède un tempérament différent et ses propres expressions. Au début, nous devions souvent nous référer au script pour ne pas les confondre. Cependant, l’acteur J.K. Simmons est vraiment parfait : il adopte d’emblée une posture spécifique pour chacun des personnages. Même sans qu’il parle, on peut deviner quel rôle il incarne.
Quelle forme a pris la collaboration avec l’ensemble de l’équipe ?
Dans le cadre d’une série, les équipes sont amenées à travailler plusieurs semaines ou plusieurs mois ensemble, aussi il vaut mieux privilégier une bonne entente. Le laboratoire Dubbing Brothers sait d’ailleurs quels adaptateurs faire travailler ensemble. Avec Delphine, nous n’en étions pas à notre première collaboration. Pour Counterpart, chacune s’est chargée de la simulation des épisodes de l’autre. C’est une configuration assez fréquente pour les séries. Entre adaptateurs, les changements peuvent faire l’objet d’une discussion. On travaille toujours dans la bienveillance, mais sans se censurer non plus quand il faut dire ce qui ne va pas.
Sachant que les sous-titres et la version française se faisaient en parallèle, nous avons aussi collaboré avec les trois adaptateurs de doublage. Delphine et moi avions rédigé une bible accessible en ligne et consultable par tous. Elle était essentielle pour l’harmonisation des noms d’agences gouvernementales – ainsi que des différents services –, les tournures récurrentes et évidemment les tutoiements/vouvoiements. Au fil des épisodes, nous nous concertions pour sa mise à jour, par exemple lors de l’arrivée d’un nouveau personnage.
Counterpart est une série diffusée en day after (H+24). Qu’est-ce que cela implique pour les adaptateurs ?
Cela signifie que la version française et la version sous-titrée de chaque épisode doivent être prêtes le lendemain de la diffusion sur les chaînes américaines. La traduction a évidemment lieu en amont, cependant cette programmation en day after nous oblige à vérifier les fichiers, à faire un calage et à mettre aux normes l’ensemble de l’épisode au dernier moment.
D’autre part, la vidéo fournie est de moins bonne qualité : les mesures anti-piratage nous imposent un logo au milieu de l’écran, ou une image en noir et blanc. Il arrive aussi que le mixage ne soit pas terminé. Au quotidien, cela signifie une perte de confort et une double vérification.
Les délais sont également impactés, surtout en fin de saison où le planning initial est de moins en moins respecté. Les éléments ne sont pas toujours prêts à temps et cela se répercute directement sur notre temps de travail. En effet, la date de diffusion n’est jamais décalée en conséquence. Ainsi, les adaptateurs deviennent la variable d’ajustement : ce mode de fonctionnement nous oblige à être très souples, à travailler le soir et le week-end, ou alors à travailler plus vite. Plus que jamais, l’adaptation est au cœur de notre métier, dans tous les sens du terme…