Encore de mauvaises nouvelles dans le secteur du sous-titrage en France : l’un des plus grands labos français applique depuis quelques mois, à bas bruit, des baisses de tarifs sur une grande partie de ses séries.
Traduction, puisque c’est notre métier : on annonce actuellement aux auteurs que pour la nouvelle saison d’une série sur laquelle ils travaillent depuis des années à un tarif donné, ils seront maintenant payés 10 à 30 % de moins, à travail égal. Pas si égal que ça, d’ailleurs. En quelques années, on a vu en plus se multiplier les tâches annexes : remplissage de tableaux de concordance VO/VF, traduction de synopsis, recalages/conformations sur des versions successives… Souvent sans contrepartie, car censées être comprises « dans le forfait », c’est bien pratique.
Rappelons-le, un tarif qui n’augmente pas, comme c’est le cas en sous-titrage vidéo depuis 20 ans, c’est un tarif qui baisse mécaniquement car il ne suit pas l’inflation. À titre d’exemple, dans ce labo, c’est depuis 2002 que les rémunérations n’avaient pas bougé, ce qui correspond à une baisse de 29,6 % en euros constants. Ce qui était payé 800 € il y a 18 ans devrait être payé 1037 € aujourd’hui, et non 567 € comme c’est le cas avec la baisse de 30 %. Les auteurs voient donc inexorablement leur niveau de vie au mieux grignoté, au pire amputé de moitié.
Avec cette nouvelle baisse, ce que l’on peut déplorer également, c’est qu’il n’y ait pas (encore) eu de mobilisation de la part des auteurs, qui sont sans doute fatigués par 15 ans de tendance baissière et de combats souvent perdus, qui se sentent isolés et ont peut-être peur de perdre leurs clients en protestant. Mais exprimer notre désaccord face à des annonces pareilles, c’est peut-être au moins éviter des baisses ultérieures. En tout cas, si l’on ne relève même plus, il n’y a aucune raison pour que ça s’arrête. Face à une situation de crise, les salariés d’un secteur accepteraient-ils sans rien dire une diminution de salaire ? Pourquoi les auteurs de sous-titrage et de doublage dans d’autres cas sont-ils toujours la variable d’ajustement ?
Justement parce que nous ne sommes pas salariés, donc pas protégés par le code du travail, et pire, menacés d’entrave à la libre concurrence si nous décidions de nous concerter sur les prix pour les empêcher de baisser.
Pire encore (et donc plus facile à faire passer pour nos commanditaires), nous sommes même concurrents entre nous, traducteurs !
Mais ce que la création de structures comme l’ATAA a montré, c’est que l’on peut malgré tout être plus forts en étant solidaires, à l’image de la série dont tout le monde parle en ce moment, Le Jeu de la dame (The Queen’s Gambit) : les meilleurs joueurs réussissent précisément quand ils savent unir leurs forces au bon moment, mettre de côté le fait qu’ils sont amenés à s’affronter le lendemain, surmonter leur peur de montrer leurs faiblesses ou de partager leurs informations. Soyons solidaires, donc, en refusant de créer des précédents irréversibles. Et continuons à nous battre pied à pied, individuellement, client par client, négo par négo, pour demander contre vents et marées le maintien de tarifs décents, le paiement d’une conformation/d’un recalage, le sous-titrage d’une petite bande-annonce. On ne gagne pas à tous les coups, mais ce qui est sûr, c’est que c’est seulement en demandant quelque chose que l’on a une chance de l’obtenir. Et ce n’est pas vain : certains auteurs contribuent à recréer des cercles vertueux en obtenant de petites augmentations de tarifs qui peuvent ensuite se généraliser. Nous nous devons à nous-mêmes, ainsi qu’à nos confrères et consœurs, de montrer que c’est possible.
Et au-delà des adaptateurs, les laboratoires de sous-titrage devraient peut-être eux aussi s’en inspirer, au lieu de scier la branche sur laquelle nous sommes tous assis. Car certains des clients finaux pour lesquels ces baisses sont opérées ont des budgets colossaux et, on en voit régulièrement des exemples, ils sont parfois de bonne volonté, prêts à reconnaître que les Français sont attachés à un sous-titrage de qualité et que, même à un tarif décent, la rémunération de l’auteur est une goutte d’eau dans le coût global d’un film ou d’une série. Il est important de le réaffirmer encore et encore, plutôt que de se brader jusqu’à ce que toute la filière s’effondre.