Le site de traducteurs de l’audiovisuel germanophones Untertitel-Forum a rédigé un texte envoyé la semaine dernière aux responsables de l’UE, à 93 eurodéputés allemands (tous sauf les trois du NPD, nationaliste, et de l’AfD, souverainiste), aux professionnels du cinéma allemands ainsi qu’aux deux associations professionnelles BDÜ et VdÜ.
En voici la traduction française, réalisée par François-Xavier Durandy, que nous remercions pour sa contribution.
[NB : le délai de 4 à 10 jours indiqué par les traducteurs germanophones pour sous-titrer un film de fiction est une estimation extrêmement basse, le délai préconisé pour une adaptation professionnelle en France étant plutôt de 15 à 20 jours.]
« En tant que professionnels du sous-titrage, nous aimerions faire part de quelques réflexions sur votre initiative visant à accroître la circulation des œuvres européennes. Le « coût élevé » du sous-titrage, que vous situez entre 600 et 1 000 euros par film, relève d’une estimation grossière et passablement faible. Sous-titrer une œuvre de fiction est un travail prenant entre quatre et dix jours, même si l’on tient compte du gain de temps que représente l’utilisation des logiciels dont la plupart d’entre nous sont dotés. Cette durée varie avec la longueur du film et la complexité de ses dialogues. À l’heure actuelle, certains professionnels du sous-titrage sont rémunérés en deçà du salaire horaire minimum et ce, alors qu’ils sont, pour la plupart, diplômés de l’enseignement supérieur et forts de plusieurs années d’expérience dans le domaine de la traduction. Notre branche connaît depuis plusieurs années déjà une pression croissante sur les tarifs, qui n’ont cessé de chuter, contraignant de nombreux collègues à mettre la clé sous la porte. Vous comprendrez dès lors notre stupéfaction à la lecture de votre initiative, si bien intentionnée soit-elle. Vous prévoyez de mettre les petites productions à la disposition du public sur des plateformes de VOD et de les faire sous-titrer pour cela sans la moindre rémunération. Nous vous prions de bien vouloir vous poser les quelques questions suivantes :
1. Souhaitez-vous réellement confier le sous-titrage de ces œuvres à des amateurs ou à des machines ? Condenser les dialogues d’un film tout en préservant l’ensemble des informations indispensables et sans toucher au registre de langue ni aux allusions à ce qui précède ou à la suite de l’action n’a rien d’une tâche aisée. Il faut à la fois de la sensibilité, de l’expérience, un savoir-faire technique et beaucoup de bonne volonté pour réécrire un sous-titre autant de fois que nécessaire jusqu’à obtenir un résultat parfaitement cohérent et lisible rapidement. C’est la raison pour laquelle la plupart des professionnels de la branche ont suivi une formation spécifique. Quant à la traduction automatique, elle est aujourd’hui encore incapable de traduire convenablement un texte standardisé : que dire alors de la langue parlée, avec tous ses jeux de mots et ellipses ?
2. Comment comptez-vous éviter les violations du droit d’auteur en cas de sous-titrage par un, voire plusieurs amateurs ?
3. Quelle idée vous faites-vous du processus de traduction ? Comptez-vous faire réécrire des textes bâclés à la hâte et pour pas cher par des auteurs grassement payés ? Tout professionnel de la traduction le sait bien : il est plus long de corriger une mauvaise traduction que de la reprendre à zéro.
4. Attendez-vous des réalisateurs et auteurs de scénarios qu’ils confient le fruit de plusieurs années d’un dur labeur à des individus susceptibles de ruiner la réputation de leur film du jour au lendemain ? Et ce, pour économiser quelques centaines d’euros ? Le sous-titrage ne se réduit pas à la traduction d’un texte : un mauvais sous-titre suffit à tourner un film en ridicule ou à le rendre incompréhensible. C’est ce qui arrive souvent quand les mots sont mal choisis ou que les sous-titres, tout simplement trop longs, font perdre le fil au spectateur. Les traductions issues du crowdsourcing regorgent de ce type de défauts.
Si l’Union européenne est sincère dans sa volonté de mettre un plus grand nombre de petites productions à la portée d’un public élargi, la réduction des coûts liés au sous-titrage est sans nul doute une voie sans issue. Aucun réalisateur ne nommerait son voisin chef-opérateur au prétexte que celui-ci vient de s’acheter un nouveau caméscope ! La Commission européenne serait mieux inspirée de s’engager pour que le sous-titrage soit enfin considéré comme une partie intégrante du processus de postproduction et que les professionnels à qui il est confié aient la garantie d’un revenu à la hauteur de leur expertise. Tant que la traduction des dialogues d’un film fera figure de cinquième roue du carrosse et de poste budgétaire auquel, curieusement, personne n’a jamais pensé en amont, elle restera considérée en deçà de sa juste valeur. Le crowdsourcing du sous-titrage ne peut que nuire au prestige du cinéma européen. C’est une solution perdant-perdant : tout bon sous-titre a un prix.
Berlin, septembre 2015 »