L’article suivant est paru dans le Bulletin des Auteurs, revue trimestrielle du SNAC (Syndicat National des Auteurs et Compositeurs), au sein duquel se trouve un groupement doublage/sous-titrage. Nous remercions vivement Vanessa Bertran de nous avoir autorisés à reprendre ce texte ici.
La numérisation dans la filière : les entreprises ont quelques perfos d’avance…
Qu’importe le flacon… Le plaisir d’écrire reste le même, qu’on utilise le crayon à papier ou la bande rythmo virtuelle, c’est l’auteur qui doit s’imposer à la technique et non l’inverse. Mais force est de constater que l’apparition du numérique dans les filières doublage et sous-titrage a considérablement modifié notre manière de travailler, tant d’un point de vue pratique que juridique et économique. Libre à chacun de juger s’il s’agit d’un progrès, et si ça n’en est pas encore un, pourquoi ne pas essayer, par notre action, de faire en sorte qu’il le devienne ?
Pour ce qui est du doublage, l’apparition des redoutées « machines » apporte à l’auteur des fonctionnalités indéniablement pratiques : ne plus avoir à relire le texte de la calligraphe en tremblant devant d’éventuels changements incongrus, pouvoir garder une copie numérique du script français sans avoir à la réclamer à cor et à cris à l’entreprise, faire des allers-retours aisément dans le film sans avoir à souffrir d’une tendinite pour aller de la boucle 1 à la 50… Mais à quel prix ? La mission de l’auteur a changé, c’est incontestable. Il a toujours existé des auteurs qui préféraient faire leur propre détection, mais les cas étaient isolés. Désormais, beaucoup d’entreprises imposent, quand elles font travailler les auteurs en virtuel, que nous fassions la détection… pour le même tarif. Une sorte de forfait qui frôle l’aumône et qui place l’auteur et l’entreprise en infraction car la prestation technique qu’est la détection devrait relever du salariat alors qu’elle se retrouve souvent aujourd’hui rémunérée en droits d’auteur. La machine, le numérique n’y sont pour rien, j’en conviens. Mais dans notre cas ils ont permis aux clients de massacrer une profession.
Un confrère m’a dit récemment qu’un client lyonnais l’avait contacté, lui proposant un tarif de 10 € la minute. Si l’application des tarifs syndicaux peut connaître une certaine souplesse, dans le cas notamment d’une série longue, là on ne peut plus parler de souplesse mais de rupture. « Mais vous savez, ce sont les tarifs lyonnais », lui a-t-on répondu quand il lui a fait part de sa stupéfaction. Comme si ces dessins animés n’allaient être diffusés que sur Lyon, à l’heure où les œuvres circulent à grande vitesse sur le Net. Quand notre confrère a fait remarquer que ces tarifs étaient dérisoires alors que l’adaptation est tout de même un poste important et de responsabilité, on lui a dit que même à 10 € la minute, ce poste restait plus cher que celui des comédiens. La ligne étant rémunérée à près de 7 €, il faudrait que le film soit peu bavard pour respecter les prétentions syndicales (méritées !) des comédiens.
Quelle est la morale de cette anecdote ? Pas que le numérique induit une dégradation des conditions de travail (il faut travailler vite car les délais sont serrés et qu’on veut être sûr de pouvoir payer son loyer – lyonnais ou non !), mais il le permet. Le doublage, grâce au numérique, devient une sorte de jeu vidéo dont les machines sont les consoles. N’importe qui s’improvise entreprise de doublage, rafle des marchés de sous-produits sous-payés bien que sur-bavards… Heureusement, certaines sociétés ont compris que cette vision à court terme ne conduisait qu’à la paupérisation du secteur et à la dégradation de la qualité, et elles s’engagent, bien que passant à la rythmo virtuelle, à avoir encore recours à un détecteur, démarche dont on ne peut que se féliciter. Il faut espérer que la charte en discussion au CNC et un mouvement salutaire de survie viennent modifier cette mutation souvent malsaine.
Que dire aussi des étudiants sortant de certains masters qui se font exploiter en travaillant gratuitement sous prétexte qu’on leur fait miroiter des contrats mirobolants, alors que l’année qui suit, ils sont remplacés par une autre main-d’œuvre bénévole ?
Si je me permets d’insister lourdement et d’étaler cette réalité peu reluisante, c’est parce que, malgré tout, j’ai bon espoir. Bon espoir que les auteurs puissent à l’avenir retrouver leur métier, à savoir l’écriture, renouer le dialogue artistique avec leurs interlocuteurs et vivre de leur création, dans le doublage comme dans le sous-titrage. Dans ce dernier secteur, la multiplication des sous-titres numériques dits « virtuels » car non gravés sur la copie permet à tous les petits festivals (à la programmation par ailleurs intéressante), de commander leurs propres sous-titres, mais là encore, ces festivals sont rarement des entreprises dégageant assez de recettes pour rémunérer correctement leurs auteurs, et encore, quand ce ne sont pas des bénévoles (non professionnels) qui sont mis à contribution.
Dernier point et non des moindres, la numérisation des œuvres en aval a modifié leur mode de diffusion. Désormais, on retrouve nos séries, nos films sur Internet soit de manière illégale, soit en vente à la demande à des prix ridicules. Le piratage est un phénomène de grande ampleur dont les auteurs de doublage et de sous-titrage sont victimes comme tous les auteurs de musiques, de films, de livres… La somme mise en répartition par la Sacem en janvier est en baisse de 10 %. La faute au piratage et peut-être aussi aux sommes dérisoires désormais versées par les petits diffuseurs qui ont accès à un vaste répertoire alors qu’ils ont une faible masse financière. La faute aussi à l’émiettement des droits, notamment à cause du fait que les diffuseurs mettent à disposition sur deux canaux la VF et la VOST sans pour autant revaloriser ce qu’ils versent au titre du droit d’auteur. Ce sont malheureusement les auteurs qui en font les frais alors que leurs versions sont complémentaires et que dans l’absolu on ne devrait pas déshabiller Paul pour habiller Pierre. Comment pourrait-on faire reconnaître aux diffuseurs qu’à nouveau service, nouveau tarif ?
Sombre tableau aux premières heures de 2010 ? Pourtant, j’aime à croire que cette année les auteurs de doublage et de sous-titrage connaîtront des heures d’écriture passionnantes et gratifiantes, ainsi que des réunions de groupement intéressantes (notamment autour des thèmes de la formation professionnelle et de la charte CNC qui nous concernent tous). Et pour conclure, j’ai envie de dire que pour une fois, ne soyons pas « synchrones » mais en avance sur notre temps, unis dans la prospective !
Bulletin des Auteurs n°100, janvier 2010.
Vanessa Bertran est dialoguiste (films, téléfilms, séries, dessins animés).