En mars 2014, l’ATAA a publié sur ce blog un article d’Yves Jeanne, détecteur. Il y faisait un constat sans appel sur la situation alarmante de la détection. Aujourd’hui, son bilan d’alors paraît presque prémonitoire, mais l’article ayant déjà 4 ans, il nous a paru temps de refaire un point. La situation a-t-elle évolué ? En bien ou en mal ? Quelles solutions peut-on envisager ?
A leurs débuts, les logiciels étaient réservés à quelques soaps, ou aux séries à faible budget. Mal conçus, ils n’étaient absolument pas faits pour une vraie détection.
Aujourd’hui, où en est-on ? L’informatisation a tout balayé sur son passage. On travaille systématiquement sur ordinateur et la détection traditionnelle à la main a totalement disparu. Même pour les programmes plus prestigieux, comme les films pour le cinéma.
On ne peut nier que cet essor s’est fait au détriment de plusieurs métiers, dont celui de calligraphe, qui a complètement disparu. Cependant, l’informatique a apporté un plus indéniable et grandement facilité le travail sur toute la chaîne. Débarrassés des contraintes physiques de la bande-rythmo, le détecteur, comme l’adaptateur, ont acquis une liberté très agréable.
Le logiciel a permis aussi une accélération du processus global de la détection/adaptation, notamment parce que les allers-retours de bandes-rythmos ont été remplacés par des échanges de mails. Autre exemple, le détecteur et l’adaptateur peuvent désormais travailler très facilement sur le même programme de manière simultanée.
On pourrait affirmer que c’est bien à cause de cette possibilité que les délais se sont raccourcis. Je suis persuadée du contraire. On se dirigeait inexorablement vers cette tendance, à cause du piratage et de la volonté des diffuseurs comme des distributeurs de se rapprocher des sorties américaines. Que cette nouvelle façon de travailler en perpétuel flux tendu soit à la limite du soutenable est un vrai débat, mais ce n’est pas la question qui nous intéresse ici. On peut cependant remarquer que les logiciels nous aident à tenir le rythme plus sereinement. (Imaginez, avec des délais raccourcis, devoir aller chercher votre détection chez le client, bobine par bobine, ou guetter votre boîte aux lettres, avec les aléas que l’on connaît chez les services de livraison…)
Un point positif que personne ne pourra nier, c’est l’apparition d’une seconde génération de logiciels, créés, eux, en considérant la détection comme une véritable étape, et permettant de travailler comme en traditionnel, avec tous les signes, les placements de texte VO, etc. Ces logiciels ont été pensés en partenariat avec des détecteurs et des adaptateurs, pour prendre en compte les besoins de chacun et ils s’améliorent encore aujourd’hui, grâce à tous nos retours et une réelle volonté des développeurs de respecter chaque étape et ses impératifs.
On voit donc aujourd’hui se côtoyer deux types de logiciels. Cette nouvelle génération, qui permet une détection complète, et la première génération, clairement créée pour que les auteurs se détectent eux-mêmes et donc pour faire une détection partielle, voire quasi inexistante.
La coexistence de ces logiciels correspond à celles de différentes catégories de laboratoires de doublage et différentes catégories d’auteurs.
Côté labos, il y a ceux qui, de manière systématique et claire, imposent la détection aux auteurs, souvent avec un logiciel gratuit ne permettant de toute façon pas une détection professionnelle. De l’autre, il y a les labos qui travaillent encore avec des détecteurs et privilégient les logiciels plus complets.
Depuis 10 ans, le nombre de sociétés de doublage a peu évolué. Certaines ont disparu, d’autres sont apparues. Et le ratio de sociétés imposant la détection n’a pas non plus explosé. Ce qui a fortement évolué, c’est le type de programmes adaptés de cette façon.
La détection par l’auteur était au début clairement réservée aux soaps, séries à petit budget et dessins animés, alors qu’aujourd’hui, on voit des programmes de plus en plus prestigieux faits dans ces conditions. Signe que les temps changent ? Signe surtout que la course au « toujours moins cher » s’accélère encore.
Ce qui a aussi explosé, c’est le nombre d’auteurs qui se détectent. La faute en revient sans conteste aux labos qui imposent ce mode de fonctionnement. Tout auteur qui débute n’a guère d’autre choix s’il veut travailler, car les labos proposant une détection ne font pour ainsi dire jamais appel à des débutants, leur pool d’auteurs expérimentés étant suffisamment étoffé. Les labos les moins scrupuleux, qui imposent cette détection pour réduire le coût de l’adaptation, le savent et en profitent.
La faute aussi aux masters de traduction audiovisuelle qui ont pour la plupart un discours plus qu’ambigu sur la question. Censés former des traducteurs, tout en leur expliquant qu’un adaptateur n’est pas un détecteur, ils les forment pourtant sans aucune gêne à la détection. Comment peut-on faire comprendre à un étudiant que la détection est un métier à part, réservé à un vrai détecteur, si on lui apprend en même temps à faire sa propre détection ?
Outre le fait que ces nouveaux arrivants n’ont généralement pas le choix, on constate que beaucoup, ayant appris à écrire en faisant leur propre détection, ont ensuite du mal à travailler sur une vraie détection et trouvent plus confortable de s’en passer, avec les résultats que l’on sait. Difficile aussi pour eux, par la suite, de voir en quoi il peut être intéressant de passer à une vraie détection, d’un point de vue financier, puisque le tarif s’en trouve souvent réduit.
Ce phénomène est inquiétant et pousse à s’interroger sur la position des auteurs sur la question d’ici 10 ans…
A l’heure actuelle, les avis sont très partagés, même si un grand nombre d’auteurs résistent encore et exigent de travailler avec une détection professionnelle. Ce groupe d’auteurs est hétérogène. Il se compose des traducteurs les plus confirmés, qui ont commencé en traditionnel, n’ont jamais appris à se détecter et ne comptent pas le faire, mais aussi d’auteurs issus des masters, ayant débuté en faisant leur propre détection, mais qui ont pu évoluer, ont pris conscience de l’importance de ce poste et s’efforcent de ne travailler qu’avec un détecteur.
Les difficultés pour ces auteurs sont multiples. D’un côté, ils se savent menacés, car ils « coûtent plus cher » et craignent le jour où l’obligation de faire des économies prendra le pas sur la qualité.
De l’autre, ils subissent aujourd’hui les conséquences du manque criant de détecteurs. Beaucoup d’entre eux ont en effet cessé cette activité, croyant voir le vent tourner. Le résultat ? Le nombre de détecteurs restants n’est pas suffisant pour la charge de travail. Les labos peinent à en trouver, ce qui peut entraîner un retard pour les auteurs, un raccourcissement du délai ou même l’obligation de repousser les enregistrements.
On constate également une baisse de qualité des détections. Pour pallier la pénurie, des détecteurs ont été formés à la va-vite. Comme Yves Jeanne le disait, la formation d’un détecteur doit se faire en tout petit groupe et nécessite une longue période d’entraînement, de corrections du travail, avec de nombreux allers-retours entre formateur et élèves. Les organismes qui prétendent former des détecteurs sont loin d’offrir cela. En conséquence, certaines détections peuvent amener à se demander si on a véritablement appris au détecteur à quoi sert son travail et comment sont utilisés ses signes par la suite, par l’auteur ou en plateau. Un véritable ras-le-bol pointe chez beaucoup d’auteurs. Confrontés à des détections mal pensées, pas en place, pleines d’erreurs, d’approximations, ils se voient obligés de corriger, vérifier si chaque signe est à sa place avant de placer leur texte.
En parallèle, on constate de gros problèmes de communication. Les labos donnent rarement les coordonnées du détecteur qui a travaillé sur notre programme. Par conséquent, pour faire un retour, il faut passer par le labo. Pour beaucoup d’auteurs, c’est rédhibitoire, car agir ainsi relève pour nous d’une forme de délation, qui met le détecteur en porte-à-faux.
La situation semble donc souvent tendue et compliquée. Il est gênant pour nous, auteurs, de nous plaindre des détecteurs, car nous savons à quel point leur travail est difficile et mal payé. (Un détecteur consciencieux fait 10 ou 15mn de détection par jour. A 5 euros net la minute, je vous laisse faire le calcul…) Mais il est aussi difficile pour nous de subir sans rien dire, car le travail de l’auteur est perturbé et ralenti par une mauvaise détection. Et surtout, c’est toujours sur l’auteur que retombera la faute en cas de difficultés en plateau, qu’elles relèvent de l’adaptation ou de la détection.
Le problème est donc complexe. Peut-on améliorer la situation ? Probablement. Il faudrait déjà commencer par instaurer plus de communication entre les auteurs et les détecteurs. Nous ne nous rencontrons jamais. Nous ne discutons jamais des problèmes que chaque profession peut avoir. Grossière erreur. Les rencontres et les échanges permettent toujours d’avoir une vision plus large. Par exemple, les comédiens sont souvent sidérés de découvrir les sommes mirobolantes que gagne un auteur sur les épisodes qu’ils sont en train d’enregistrer, le délai qu’on lui a donné, le temps qu’il met à adapter un épisode… Ils changent ainsi souvent de regard et comprennent bien des choses. Des échanges constructifs avec des détecteurs permettraient sans doute une nette amélioration de nos rapports, une meilleure compréhension mutuelle et par ricochet, des relations plus sereines.
L’ATAA avait formé un groupe d’auteurs et de détecteurs et entamé un projet de charte de détection, qui prendrait en compte les besoins de toute la chaîne du doublage, afin de rationaliser le travail de détection et de revenir à un vrai consensus quant aux conventions (bouclage, signes à poser ou non, façon de signaler les réacs…). A l’abandon faute d’avancement concret, il serait bien que nous retroussions nos manches pour relancer ce chantier. En commençant par des rencontres avec des détecteurs pour échanger sur la question ? L’appel est lancé !
Quant à la position de l’ATAA sur la question, elle est très claire et l’a toujours été. Tout d’abord, nous avons toujours rappelé une évidence : le doublage français est le plus respectueux de l’œuvre et du spectateur parce qu’il repose depuis des décennies sur la combinaison rythmo+détection professionnelle. Faire croire aux auteurs et aux commanditaires que l’on peut obtenir la même qualité en supprimant la détection est donc un mensonge. Dans ce sens, nous n’avons de cesse de dire que le traducteur n’est PAS un détecteur et qu’il ne devrait jamais être forcé de faire sa détection. Et nous n’avons de cesse d’expliquer que payer la détection (et le repérage) en droits d’auteur est contraire au code du travail et expose les sociétés contrevenantes à de lourdes amendes. Nous le rappelions encore le 2 février dernier, à la remise des Prix ATAA, devant la quasi-intégralité des laboratoires de doublage/sous-titrage français !
Cependant, il est vrai que nous n’excluons pas les jeunes auteurs qui font leur détection. Leur interdire d’adhérer serait les isoler encore davantage, ce qui serait injuste et contreproductif. Nous avons conscience de la difficulté, pour un auteur débutant, de trouver du travail, qui plus est avec une vraie détection ! Nous préférons les accueillir et les accompagner, la pédagogie étant toujours plus utile que la punition.
Quant aux auteurs plus confirmés qui travaillent pour des clients proposant des détections mais qui choisissent pourtant de se détecter eux-mêmes, nous les appelons à réfléchir aux conséquences que cela peut avoir sur l’avenir du métier de détecteur, mais aussi à la pression qu’ils exercent indirectement sur les autres auteurs. Des rumeurs font également état d’auteurs acceptant des projets sans détection et payant ensuite un détecteur au noir. Nous nous élevons bien sûr contre de telles pratiques, aussi absurdes qu’illégales.
Tout ceci étant dit, l’ATAA représente des auteurs professionnels, responsables de leurs décisions et de leur carrière, et n’a aucune vocation à surveiller ses adhérents. Notre rôle n’est ni d’exclure, ni de dénoncer, ni de punir qui que ce soit, mais de rassembler pour dialoguer. Nous restons plus forts ensemble et la somme de nos points de vue nous donne une plus large vision du monde de l’audiovisuel et de son évolution. Ces différences sont une richesse et nous évitent de tomber dans l’élitisme, le recrutement censitaire ou le fonctionnement en guilde. Nous avons pour vocation de représenter tous les adaptateurs et toutes les adaptatrices, car nous estimons que tous sont en droit d’être unis, qu’ils viennent de débuter, aient 30 ans de métier, fassent du sous-titrage, du doublage, du voice-over. Cela a toujours été notre choix et c’est notre force.
La question de la détection revient souvent, dans les échanges entre auteurs, lors des réunions du conseil d’administration de l’ATAA, sur les réseaux sociaux. Elle sera aussi abordée à la prochaine réunion du SNAC, le 19 mars. Si le sujet vous importe, venez y assister, venez aux réunions de l’ATAA, rejoignez le chantier lancé sur ce sujet.
Et n’oubliez surtout pas qu’unis, nous sommes plus forts. Unis entre auteurs, mais aussi avec les détecteurs, les comédiens… Car même si nos statuts diffèrent, même si nos situations sont parfois très éloignées, il est essentiel de présenter un front uni vis-à-vis de nos interlocuteurs.
Prochaine réunion du SNAC : 19 mars à 12h30, 80 rue Taitbout Paris 9e – pavillon 9, 1er étage au-dessus de l’entresol
Tous les auteurs sont les bienvenus, adhérents ou non !
Prochaine réunion du CA de l’ATAA : Vendredi 16 mars à 14h
Prochaine assemblée générale de l’ATAA : 26 avril 2018
Tous les auteurs sont les bienvenus, adhérents ou non !