La traduction automatique repose sur un principe simpliste : un mot dans une langue a un équivalent direct dans une autre. C’est le degré zéro de la traduction. L’automatisation s’est améliorée quand elle a davantage pris la phrase comme unité de sens. Mais ça ne va pas plus loin. La machine réduit le langage humain à un langage informatique très binaire, vide de sens et d’émotions. En bref, elle dépouille les mots de leur humanité.
La traduction automatique pille le travail des traducteurs parce que pour que la machine apprenne des mots ou des formules, il faut qu’on la nourrisse. Et les traducteurs littéraires et audiovisuels, dont le travail relève du droit d’auteur, n’ont jamais autorisé que leur travail soit utilisé de cette façon. Il y a là un gros problème juridique. L'algorithme va agréger toutes les traductions d'une même phrase et au bout du compte, décider que la plus forte récurrence sera la meilleure et proposera donc une traduction. Face à la phrase : "There are some nuts here", la machine aura du mal, vu les diverses significations du mot « nut » en anglais. On parle de quoi ? D’écrous, de fruits à coques (mais lequel ?), de couilles, de cinglés ? La machine devra faire un choix non éclairé, là où le traducteur se sera servi du contexte et de son cerveau pour trancher. On rappellera au passage que la traduction est toujours une affaire de choix, autant éviter qu’il soit le plus arbitraire possible.
On ne s’attardera pas sur le fait que la machine peut mouliner d’une langue à l’autre en passant par l’anglais, c'est-à-dire réaliser une « traduction » d’une « traduction », avec un gros risque de pertes. Le problème de l'anglais comme langue relais pose problème à cause de l'uniformisation. Parce que oui, une langue, c’est une grille de lecture, une façon de voir et d’interpréter le monde. Donc vive la perte de nuances et de diversité dans la pensée.
En résumé, la traduction automatique, c’est bête et méchant. La machine n’analyse rien. Ni le contexte si cher aux traducteurs, ni l’énonciateur. Et dans le cas précis de l’audiovisuel, la machine ne lit pas l’image (qui fait partie du contexte et offre des contraintes supplémentaires - ou des solutions - au traducteur) ni le son (qui fait partie du contexte et offre des contraintes supplémentaires au traducteur) ni le jeu et les émotions des personnes ou personnages à l’écran (qui font partie du contexte et offrent des contraintes supplémentaires - ou des solutions - au traducteur).
Prenons un exemple concret. Une téléréalité où des célibataires sont dans un château et font la rencontre d’autres célibataires avec qui passer Noël. Quand un des cœurs à prendre veut continuer l’aventure avec un des prétendants, il lui remet un cadeau. S’il considère que la relation n’a aucun espoir, il ne donne pas de cadeau et le prétendant quitte l’aventure et le château. La voix off résume ça par cette phrase : If you get a gift, you can stay in the castle. If not, well, buh-bye! It's a long sleigh ride home, baby.
Si on passe cette phrase à la moulinette de Google Trad, on obtient :
Si vous recevez un cadeau, vous pouvez rester dans le château. Sinon, eh bien, buh-bye ! C'est un long trajet en traîneau à la maison, bébé.
Et DeepL, lui, nous donne :
Si vous recevez un cadeau, vous pouvez rester dans le château. Sinon, eh bien, au revoir ! C'est un long voyage en traîneau jusqu'à la maison, bébé.
On pourrait lister tout ce qui est problématique dans ces traductions : le you générique mal rendu, la préposition de lieu mal choisie, la lourdeur littérale de la dernière phrase, etc. Bref, il n’y a pas grand-chose qui va. Quand on lit ces phrases, on sent la (mauvaise) traduction à plein nez. A partir du moment où ce n'est pas naturel dans la langue d'arrivée, alors c'est raté. Accessoirement, on remarquera que DeepL a mieux potassé ses registres de langue et reconnaît la graphie familière buh-bye, contrairement à Google Trad.
Mais quoi qu’il en soit, c’est raté parce que le français obtenu est d’une platitude absolue. Comment voulez-vous qu’une comédienne s'amuse avec un texte pareil ? Parce que oui, l’idée du doublage (ou de la voice over, en l’occurrence), c’est que le texte soit joué par un comédien et cette oralisation devra reproduire les mêmes effets, susciter les mêmes émotions qu'en original. Ce que la machine ne sait pas, c’est que la narratrice qui prononce ces phrases est enjouée au point même d’en faire des caisses, elle appuie sur certains mots (l'intonation peut changer la traduction d'une idée). En somme, elle fait de l’humour. Il s’agit d’un programme très léger, du divertissement "débranche ton cerveau" plutôt destiné à un public jeune et tout l’intérêt de ce personnage en voix off, c’est son côté complètement barré à longueur d’épisodes. Tout ça doit être pris en considération par le traducteur, chose que la machine est absolument incapable de faire. Dommage pour elle.
Il n’y a pas de traduction unique parfaite pour cette phrase. Comme toujours, il existe plusieurs solutions qui doivent faire mouche. Aux traducteurices de faire preuve de créativité. Parce que c’est là tout le mérite de notre métier. Comment une machine peut faire du style, des rimes, de la poésie, jouer avec la langue, faire des clins d’œil, introduire des références, etc. ? Elle ne peut pas, tout simplement. Ma proposition : Un cadeau, c’est le château. Pas de cadeau, c’est le râteau. Et vive le vent d’hiver !
Quel est donc l’intérêt de faire traduire littéralement cette phrase par une machine et de demander ensuite à un traducteur de jouer les post-éditeurs en le payant au lance-pierre pour qu’il corrige les erreurs de la machine ? Avec le temps qu’il aura et pour l’argent qu’on lui donnera, l’humain se contentera sans doute de : "Si on reçoit un cadeau, on reste au château, sinon, au revoir. Le voyage retour sera long, mon pote !" Et malgré ça, on n’aura pas une bonne traduction, on n’aura pas été fidèle à l’esprit de la VO.
Une machine n’aurait jamais pu accoucher de la traduction inventive proposée parce que, on ne le répètera jamais assez, on ne traduit pas des mots mais du sens. Les super neurones de la machine n’auraient jamais pu donner « râteau », par exemple. Faire traduire par une machine des dialogues d'une œuvre audiovisuelle, quelle qu'elle soit, pour du sous-titrage ou du doublage, c'est un manque de respect pour les créateurices d'origine, le contenu, les téléspectateurices et les professionnel.les de la traduction.
Donc Mesdames et Messieurs les ingénieur.es, cessez de vous toucher la nouille pour faire des économies de bouts de chandelle, gagner quelques heures de temps ou tenter de nous remplacer, ça ne sert à rien. Tentez plutôt d’améliorer le recyclage ou de trouver des moyens efficaces d’éradiquer la pauvreté ou d’atténuer le changement climatique. Ça, au moins, ce sera utile et ce sera bon pour l'humanité !
Ami.es traducteurices, ne nourrissez pas la machine et défendez votre travail et vos droits !