Vous avez fait partie du jury 2019. Quelle a été la principale difficulté de cet exercice ?
Dominique Kugler : Notre mission consistait à juger la qualité des adaptations en se focalisant sur la traduction. En général, on juge un documentaire dans sa globalité et nous avons dû résister à la tentation d’évaluer aussi la direction artistique qui fait partie des critères importants de la qualité d’un film. Il arrive que la traduction soit desservie par certains manquements de la DA, ou au contraire, mise en valeur par son travail complémentaire…
Eva Bacelar : Outre la difficulté de se détacher du traitement du sujet et de l’image, nous nous sommes rendu compte combien certains aspects étaient subjectifs. Par exemple, il est arrivé que des jurés arrêtent rapidement de visionner certains documentaires en se disant « Mais, c’est pas possible ! », tandis qu’ils plaisaient beaucoup à d’autres. Cela a donné lieu à de nombreux débats au sein du jury, car nous étions tenus de donner le Prix sur des critères objectifs.
DK : Au-delà de la forme, nous devions comparer la VF à la VO. En voice-over, on ne peut pas tout traduire, cependant le spectateur doit avoir accès au maximum d’information possible. L’idée était d'apprécier l’inventivité de l’adaptation, tout en s’assurant qu’elle ne s’éloignait pas trop de la version originale.
EB : La retranscription des différences culturelles telles que l’humour est particulièrement complexe. On sait la difficulté que cela représente. On apprécie la qualité d’une traduction qui s’éloigne de la VO en restant fidèle à l’idée, car cela nécessite un vrai travail de recherche et aussi de « se lâcher » un peu. Certaines adaptations étaient décomplexées de ce point de vue. Personnellement, j’ai trouvé réjouissant et intéressant cette manière de rendre l’ambiance et l’univers des films. L’intention doit primer afin de rendre l’idée.
Vous avez toutes les deux une double compétence. Était-ce un atout ?
DK : Après 10 ans de traduction littéraire, je me suis lancée dans la traduction audiovisuelle – uniquement en voice over et documentaires – laquelle exige d'autres qualités que la « fidélité » : il faut adapter un texte à un public français, sans oublier qu'il sera lu à voix haute. Cela nécessite de restructurer les phrases pour gagner en fluidité. C’est un exercice tout à fait différent de la traduction littéraire. Depuis 20 ans, je mène de front ces deux métiers qui s’enrichissent mutuellement. Par ailleurs, j’ai effectué beaucoup de DA. Toutes ces cordes à mon arc m'ont aidée dans mon travail de jurée. J'ai une vision encore plus large de l’exercice. Je sais comment ça se passe, je connais la cuisine…
EB : On a plusieurs vies dans une vie ! Après l’adaptation de longs-métrages, je suis passée à la direction de post-production. Je possède un regard plus technique et ai conscience des contraintes du sous-titrage et de l’adaptation. En passant du côté du commanditaire, j’ai été très vigilante sur la qualité artistique et le respect de l’intention des réalisateurs. Cette double casquette m’a permis un regard complémentaire sur les adaptations sélectionnées.
Les cinq membres de votre jury se sont parfaitement entendus. Etait-ce crucial pour votre mission ?
EB : Initialement, aucun de nous ne se connaissait, mais cela a été une belle rencontre ! Nos rapports étaient simples, amicaux et sains. En cas de désaccord – et nous en avons eus – on arrivait à en parler sans non-dits et sans arrière-pensées. Les échanges ont été d’autant plus constructifs que nous avons su nous écouter sans vouloir imposer nos points de vue. Chaque idée valait la peine d’être étudiée… Par ailleurs, cela nous a aidés à nous mettre d’accord sur un cadre de travail et un langage commun. Des éléments indispensables car la mission de juré prend du temps et demande de la discipline.
DK : Dès l'issue de la première réunion avec le comité organisateur, nous sommes convenus d’un rendez-vous convivial entre jurés. On voulait se voir rapidement car c’est quand même un énorme travail ! L’ambiance a été très chaleureuse dès le départ. Nous nous sommes retrouvés à plusieurs reprises, et nos réunions s’animaient de vraies discussions sur les documentaires que chacun avait vus. On justifiait nos choix et nos avis. C’était intéressant de comprendre pourquoi untel n’était pas d’accord et de remettre ses propres jugements en question. J’ai trouvé exaltant d’avoir tous ces échanges, car nous avons rarement l'occasion de décortiquer ainsi notre travail.