Félicitations pour ce prix ATAA de la Traduction de documentaires télévisés ! Que ressentez-vous d’avoir été primé ?
J’ai été surpris de remporter le Prix car c’était mon premier travail de voice over. Avant d’adapter Golda Meir, Premier ministre, j’avais seulement été sollicité pour traduire des passages d’hébreu. Aussi, ce Prix m’encourage à continuer. L’hébreu est ma langue familiale : comme je ne l’ai jamais étudiée, je ressens parfois le syndrome de l’imposteur… Mais aujourd’hui je peux me dire que j’y arrive !
Votre connaissance de la culture et de l’histoire israélienne a cependant été un avantage.
Pour traduire un film comme Golda Meir, il était nécessaire de posséder un bagage culturel. En hébreu, on est souvent amené à traiter des questions israélienne ou juive. Les traductions sonnent généralement faux si on manque de références culturelles. Mon père a participé à la guerre du Kippour, aussi je l’ai parfois interrogé sur certaines phrases pour qu’il m’explique ce qui se passait réellement. Grâce à lui, j’ai compris combien Golda Meir était encore détestée par beaucoup de soldats qui se considèrent comme une génération sacrifiée, sachant que la guerre du Kippour aurait pu être évitée. Ma connaissance d’Israël est donc liée à l’histoire familiale et mes liens sur place me permettent de contacter facilement des spécialistes. À titre personnel, je suis davantage expert en judaïsme pour avoir suivi toute ma scolarité dans une école juive.
Vous traduisez aussi l’anglais. Quelles différences notez-vous avec l’hébreu ?
En termes de ressources, il existe moins d’outils pour l’hébreu, notamment vers le français. Il y en a davantage vers l’anglais : ainsi pour traduire des grades militaires, je dois souvent passer par la traduction anglaise.
Par ailleurs, l’hébreu est une langue très synthétique. Nous ne disons pas systématiquement les pronoms, et la langue possède de nombreuses abréviations où seule la première lettre des mots est utilisée. « Drichat chalom » qui signifie « passer le bonjour » sera souvent raccourci à l'oral par « dach » qui est un acronyme ("d" et "ch"). Donc, « drichat chalom mi-Michel » – Michel te passe le bonjour – devient « dash mi-Michel ». Dans ce cadre, le sous-titrage pour malentendants que j’ai fait en début de carrière, a été très formateur pour moi. Même s’il ne s’agissait pas de traduction, ce travail m’a appris à être beaucoup plus concis en français.
Pour un jeune diplômé, il est plutôt exceptionnel de se voir confier un tel documentaire géopolitique.
Ma combinaison de langue est un atout : cela m’a permis de travailler plus rapidement sur des projets intéressants et aussi de me lancer dans ce milieu compétitif. C’est grâce à l’hébreu que j’ai obtenu mon stage de fin d’études à Titra Film – depuis, devenu un de mes principaux clients – où j’ai notamment collaboré à Canneséries, le Festival International de Cannes des Séries. Dès mon deuxième jour de stage, j’ai travaillé depuis l’hébreu et cela m’a permis de me faire remarquer. Par la suite, des confrères m’ont recommandé auprès du labo Eclair Media Strasbourg qui m’a contacté pour traduire Golda Meir.
Collaborer avec Caroline Barzilaï a également été une belle opportunité professionnelle.
Nous avons fait la simulation ensemble. Quand on peut le faire, c’est précieux ! Cela nous a permis de discuter certains choix de traduction. Par exemple, Golda Meir parle dans ses discours de la Judée Samarie : cela a une consonance biblique et traduit son idéologie. Mais, comme me l’a fait remarquer Caroline, cela ne prend pas sens pour un public français. Aussi, nous avons choisi de traduire Judée Samarie par Cisjordanie qui est ce qui s’en approche le plus. Parfois trop connaître un sujet ne permet pas d’être compris du public destinataire… Par ailleurs, on peut manquer de recul quand un programme nous touche plus personnellement. Il faut garder une neutralité et ne pas poser ses propres opinions politiques.
Avec Caroline, nous avons également choisi d’utiliser le terme de « Territoires occupés », même si en hébreu ils ne sont pas du tout désignés ainsi. Littéralement, il s’agit de « zones ». Nous avons préféré être compris des téléspectateurs que traduire fidèlement une phrase qui sonnerait faux. En voice over, la priorité est que le discours soit fluide et compréhensible. Pour ce faire, j’ai aussi repris les expressions utilisées dans la presse française et me suis appuyé sur mes échanges avec mon entourage, pour savoir comment les Français diraient certaines choses.
Que pensez-vous des traductions relais ?
Mon mémoire de fin d’études était consacré à la traduction des langues rares. J’ai observé que les entreprises de sous-titrage recourent souvent à une traduction relais en anglais pour passer de l’hébreu au français. Pour toutes les langues rares, les traductions relais sont une « catastrophe ». Il y a toujours un problème. Souvent, on observe une hiérarchisation de ces langues en fonction du risque pris : moins le nombre de spectateurs pouvant comprendre est élevé, moins on investit dans une traduction directe.
Pour le festival Canneséries, Titra film m’avait demandé de réaliser un contrôle qualité des traductions des sous-titres des épisodes pilotes qui avaient été confiées à des prestataires différents. J’ai pu noter des fautes grossières. En hébreu, le mot « garrot » se dit littéralement « tourniquet russe » : cela avait été traduit tel quel en anglais… Il m’est aussi arrivé de voir que le mot « endroit » en hébreu était traduit par « location » en français. Il y avait évidemment eu un passage par l’anglais. Il faut aussi dire que dans certains pays, on a moins de scrupules à recruter un traducteur qui n’est pas de langue maternelle française…
Sachant que l’hébreu a été un tremplin pour vous, envisagez-vous d’en faire votre domaine d’expertise ? Compte tenu des difficultés du marché…
J’y ai réfléchi mais je ne suis pas sûr de vouloir me spécialiser en judaïsme ou uniquement en traduction de l’hébreu. J’aime la variété et ne souhaite pas me cantonner au même sujet. C’est rafraîchissant de passer de l’anglais à l’hébreu. De même que j’aime alterner travail de sous-titrage et voice over. Dans nos métiers, c’est important d’avoir un élan de curiosité. Et j’aime apprendre des choses nouvelles en allant vers des sujets nouveaux.
Un mot de la fin ?
Souvent, j’entends des personnes se plaindre de prétendues mauvaises traductions audiovisuelles... Selon moi, notre travail est davantage exposé à la critique car les spectateurs ont la possibilité de comparer immédiatement la VO avec la traduction. Pourtant, notre métier est finalement celui qui trahit le moins le contenu, justement du fait de cette simultanéité VO/VF. Par ailleurs, beaucoup oublient que de nombreux textes – tels que les textes religieux – sont des traductions, sans jamais les remettre en cause… Alors pour parer aux critiques occasionnelles, je demande souvent « lorsque tu regardes un film, est-ce que tu es plongé dans l’histoire ? » Si c’est le cas, c’est que la traduction était bien faite.