Le doublage
Je ne m’en occupe pas. Mais j’ai une jolie petite histoire que m’a racontée Marcello Mastroianni et qu’il a dû aussi raconter à cinquante-cinq millions de Français.
Ettore Scola n’avait pas pensé à lui faire doubler en français son rôle dans Una giornata particolare1. Mais Scola qui se méfie, et il a bien raison, et qui suit son film du début à la fin, ne se contente pas des affirmations téléphoniques « Nous avons un doubleur parfait, etc. ». Il se rend à Paris voir comment avançait le doublage. Le personnage de Mastroianni, on s’en souviendra, était en demi-teinte, on devait deviner très lentement son homosexualité réprimée par le fascisme.
C’était un très bon comédien qui doublait Mastroianni. Mais le directeur du doublage, ou qui ? l’avait sûrement fourvoyé. Et j’aurais voulu voir la tête de Scola entendant, dès les premières répliques, une voix efféminée et minaudière, type La Cage aux folles. Ce qui bousillait tout le film. C’est ainsi que Mastroianni s’est doublé pour la première fois en France.
Cette anecdote est assez terrifiante. Comment suivre le doublage dans des langues comme le japonais ou l’arabe ? Un film tourné avec amour est transformé en un produit exécrable, sans méchanceté… enfin, presque toujours.
Gérald Morin, devenu producteur-organisateur de cinéma, me raconte qu’à l’époque où il était assistant de Fellini dans Amarcord [1973], il avait assisté au drame du doublage en français. Qui avait eu l’idée de donner l’accent marseillais aux personnages de cette ville du presque nord de l’Italie ? Il paraît que le résultat était… ahurissant.
Fellini, une fois de plus hurlant et trépignant (mais est-ce vraiment de sa faute ?!) a fait refaire tout le doublage par Patrice Chéreau. Ce que tout le monde sait.
Au temps où la Démocratie chrétienne obligeait les cinémas à fermer le Vendredi saint, sauf ceux qui passaient le film Golgotha2, j’ai vu un film de Buñuel, Robinson Crusoé [1952]. J’aimerais retrouver cette copie, perfection de la censure papale.
Il y a un dialogue entre Robinson et Vendredi sur Dieu. On avait gardé le texte de Robinson, mais pas celui de Vendredi. Ce qui donnait une espèce de monologue surexcité et hoquetant avec des « Mais non ! Dieu est… etc. », puis un flash sur Vendredi qui ouvrait la bouche et aussitôt la voix de Robinson : « Tu as tort ! etc. »
Quelqu’un avait dû se méfier des arguments de Vendredi qui devaient être trop « athées » pour l’époque et risquaient d’influencer les âmes fragiles.
En 1947, j’ai vu Carmen de Christian-Jaque avec Viviane Romance et Jean Marais. Là, on avait donné à Jean Marais une voix de docker, une voix de basse, tandis que Viviane Romance gazouillait…