L'erreur
Ce qui est terrifiant, c’est quand quelqu’un arrive et me dit : « J’ai donné ça à traduire en français, on me l’a renvoyé. Ça doit être mal traduit. Mais peut-être peux-tu l’arranger un peu ? »
J’en suis incapable. À moins que le texte ne soit illisible, je ne vois pas les erreurs. Je ne vois déjà pas les miennes et je suis obligée de me faire relire, persuadée que deux personnes font rarement les mêmes. Par exemple, je ne sais plus dans quel film sérieux et très religieux, j’avais mis un sous-titre (heureusement corrigé à la dernière minute !) : « Le pape doit entreprendre une croisière… », alors que c’était bien sûr : « Le pape doit entreprendre une croisade… »
Dans un grand film qui a obtenu la Palme d’or à Cannes, j’ai relu par amitié pour le distributeur, au dernier moment, les sous-titres confiés à un grand critique italien. La première chose que je vois, c’est « la lune encerclée » (par qui ? par les soldats du roi ?) au lieu de « la lune auréolée ». Puis « … le mort, les bras croisés sur la poitrine » ; en italien, on dit : « le braccia incrociate sul petto », c’est très énergique, mais peut-être est-il préférable de mettre : « les mains jointes sur la poitrine ». Et ça continuait comme ça… Je suis bien bonne ! J’ai corrigé les sept erreurs les plus monumentales, sauvant ainsi le grand critique et son écharpe blanche.
Voici quelques-unes de MES erreurs.
Pour Antonioni, j’ai mis un titre au féminin au lieu de le mettre au masculin, je ne sais plus ce que c’était, mais le malheureux a dû en être épouvanté à jamais, je ne l’ai plus revu.
À une projection pour Gilles Jacob de La notte di San Lorenzo1 des frères Taviani (film que je n’avais pas vu et qu’on me demandait de traduire au vol, ce qui pour moi, qui ai l’esprit d’escalier, est abominable), à un certain moment, les partisans se donnent tous des surnoms. Je les trouve tous, mais soudain j’entends « Mi chiamo UFO ». Horreur. J’hésite mais je bredouille quand même « Je m’appelle O.V.N.I. » (Objet Volant Non Identifié). Légère surprise de Jacob, mais ça passe. Au déjeuner avec les frères Taviani, ça continuait à trotter dans ma tête. Je me disais : comment pouvait-on s’appeler O.V.N.I. en 1944, les extraterrestres n’étaient pas à la mode… Bref, j’expose mon doute aux Taviani, qui en restent bouche bée, comme des carpes éperdues. C’était une phrase prononcée avec l’accent toscan, où on aspire les « C » et les « G » : « Mi chiamo GUFO » ; « Je m’appelle HIBOU ».
Les frères Taviani continuent à me recommander autour d’eux !
Un autre remords, c’est Costa-Gavras qui m’avait donné un scénario magnifique sur les multinationales au Portugal, après la révolution des Œillets. C’était vu par un Américain et ça se tutoyait à tort et à travers. Moi j’ai remis le « vous » croyant qu’un Américain disait toujours « you » et Costa-Gavras, au téléphone, a essayé de m’expliquer qu’il y a un vouvoiement américain qui est l’équivalent d’un tutoiement. C’était trop tard. Enfin, je ne pense pas que c’est à cause de mon « vous » qu’ils n’ont pas tourné le film, mais plutôt à cause de l’opposition hargneuse des multinationales.
À propos de tutoiement, en Italie on tutoie beaucoup, on tutoie vite. On tutoie le pompiste en faisant le plein d’essence. En France, ça serait du joli ! Naturellement, ce sont toujours les gens nantis qui tutoient les autres. Il y a une différence de classes qu’ils ont tendance à souligner ainsi. Mais c’est étrange comme les subalternes, disons, l’acceptent. L’usage est de tutoyer les « aides- ménagères ». En France, on les vouvoie. Faire très attention à faire vouvoyer tout le monde dans les scénarios, sinon on penserait à du mépris ou à une intimité douteuse ou à Dieu sait quoi. De là ma super-gaffe pour Costa-Gavras.
Dans un documentaire sur l’Afrique, on parlait du Niger. Et j’hésitais entre l’anse, la rade, le tournant, j’avais le mot sur le bout de la langue… hélas, je ne sais pas ce que j’ai choisi, mais je n’ai pas trouvé « la boucle du Niger ». J’espère que l’adaptateur aura réparé ça !
Le drame du traducteur : trouver le mot quand on a rendu le travail.
Il est vrai que le drame de la traduction, c’est aussi le drame des dactylos. Il y a en Italie, les fameuses « copisteries » qui retapent les scénarios dans toutes les langues. Je n’en ai retenu que deux qui soient sérieuses, mais dont il faut relire le travail, parce que si on ne connaît pas la langue, on se trompe forcément. C’est ainsi que je peux lire « chair de lune », ou « poil » pour « poli », « sueur » pour « sœur »…