Les gros mots
Autrefois, dans les sous-titres, on ne mettait pas les jurons. On mettait la « P… » (respectueuse ou pas), « M… », etc. Maintenant, on peut mettre le juron en entier, mais il faut faire très attention : la grossièreté écrite est beaucoup plus forte que la grossièreté parlée.
Je dois à Lina Wertmüller ma libération de langage dans la traduction. C’est elle qui m’a obligée à me pencher (!) sur de graves problèmes. Par exemple, le mot « cazzo » qui veut dire « merde », mais littéralement « bite » et dont les Italiens parsèment leurs propos. Dans les films américains traduits en italien, ou dans les films français traduits en italien, il doit bien y avoir des « fuck », des « merde » dont la traduction normale serait « cazzo ». Or, les traducteurs font dire « Cristo » au lieu de « cazzo », beaucoup plus vulgaire, mais beaucoup plus précis. Je n’ai jamais entendu quelqu’un à Rome s’exclamer « Cristo ». Peut-être dans le Nord.
Il y avait, dans un film de Lina Wertmüller, une insulte affreuse :
– « Per te sono cazzi amari… »
Elle me dit :
– Traduis exactement…
– Mais je ne peux pas écrire ça en sous-titres ! Si on lit : « Pour toi, ça va être des bites amères ! » ou « des queues amères », ça va horrifier les gens !
En plus, s’agissant d’une menace, on ne comprendrait pas.
Comme c’étaient des types de la mafia, je dis alors : « Gare à tes couilles ! »
Évidemment, dans le sous-titre – comme je l’ai dit – l’insulte doit être moins forte : quand on lit quelque chose, ça devient dix fois plus vulgaire que quand on le dit. La parole passe, c’est la phrase écrite qu’il faut atténuer. Je trouvais que c’était très courageux de ma part de mettre « Gare à tes couilles ! »
Nous voilà en salle de projection, avec les techniciens en blouse blanche, sérieux. Et le film démarre. Je commence à lire mes sous-titres, de plus en plus blême. Je vous passe les détails. Puis arrive le fameux « Gare à tes couilles ! » et j’entends un cri de Lina :
– STOP !…
On rallume la lumière. Lina se tourne vers moi et me dit :
– Tu as mis « Gare à tes couilles », mais c’est « Garde tes couilles ! ».
Alors, devant les techniciens effarés et hilares qui me prenaient pour une « dame », je me lance dans un flot d’explications qui étaient de véritables, d’horribles insultes. « Tu préfères les garder, les tiennes ?! », etc., etc. Lina Wertmüller était ravie. Tout compte fait, moi aussi.