Parlons des dictionnaires
Les erreurs sont désopilantes. Un très célèbre dictionnaire, dans la dernière édition dont je me servais avant d’en acheter un autre d’une maison concurrente, en était bourré. Je donne un exemple : je devais traduire une scène dans un bar de banlieue, où des voyous jouaient au flipper. Le mot flipper n’était pas utilisé en italien, on disait « bigliardino » (avant les videogames qu’on dit « videogiochi »), littéralement « petit billard ». Je ne pense pas tout de suite à « flipper », j’ai une hésitation, ça m’arrive souvent, et alors, me voilà feuilletant mon dictionnaire. Et je trouve un seul mot pour « bigliardino » : « trou-madame ». Rien d’autre. Ce sont des moments où j’ai de la peine à ne pas mettre : « Trois loubards courbés sur un trou-madame, le regard dur, défiaient le tilt. »
Quand on annonce, de temps en temps, que les ordinateurs vont faire des traductions, alors là, je les attends au tournant, ça risque d’être drôle. D’abord parce qu’ils devront souvent choisir entre quatre ou cinq mots. « Beccare » peut aussi bien vouloir dire : becqueter, coincer, arnaquer. Ainsi, des flics peuvent becqueter un truand. Etc. à l’infini. Ensuite, parce que les auteurs ne trouvent pas tout le temps le mot exact, celui qu’ils ont « au bout de la langue », et c’est au traducteur de comprendre ce qu’il a voulu dire. Un homme n’est pas « ému » devant sa femme assassinée mais plutôt « bouleversé », « horrifié », enfin, il devrait l’être.
Il y a des pièges classiques entre l’italien et le français, deux langues très proches. En voici quelques-uns :
« Moroso » n’est pas un homme morose, mais un homme qui a des dettes (ce qui bien sûr le rend « morose »).
« Caveau » (en français, je vous prie) n’est pas le caveau de cimetière mais la salle des coffres d’une banque. D’où les titres fréquents dans la presse italienne (« Deux cents caveaux pillés cette nuit », etc.). On imagine tous ces cadavres emportés par les gangsters.
« Truffare » ne veut pas dire truffer quelqu’un, mais l’escroquer.
« Salire le scale » ne veut pas dire salir les escaliers mais les monter.
« Morbido » ne veut pas dire morbide mais moelleux, doux.
« Assai » ne veut pas dire assez mais très, beaucoup.
« Campare » ne signifie pas camper mais vivre.
Ceci pour dire que traduire en francisant simplement un mot tout simple apparemment, mène à la catastrophe.
Pour les insultes et les jurons, ne pas se fier aux dictionnaires. Se constituer un petit dictionnaire personnel, qu’il vaut mieux ne pas porter sur soi en cas de perte ou de fouille, on aurait quelques difficultés à expliquer que c’est un outil de travail. Les files d’attente aux guichets de l’administration sont recommandées. Emporter toujours son magnétophone dans les lieux publics. Écouter les radios libres.