Les erreurs des auteurs
Il faut tout vérifier, même les choses les plus inattendues. Par exemple, j’ai traduit une fois un film policier où, au départ, six dobermans gardaient une villa. Je commence à traduire. Mon héros, déjouant tous les subterfuges, se débarrasse de plusieurs dobermans, vraiment plusieurs… J’ai fini par les compter : il en tuait douze !!! Dans son enthousiasme, l’auteur les avait triplés : « Ils étaient six au départ… Mais trois mille en arrivant au port ! »
Ce qui est valable pour les dobermans l’est pour mille autres choses : si le malfrat a attaché sa victime avec les poignets derrière le dos, il faut s’en souvenir lorsque dix pages plus loin, celle-ci peut se gratter le genou.
Dans ces cas-là, il vaut mieux ne rien dire à l’auteur et corriger soi-même. De deux choses l’une : ou quelqu’un lui fera remarquer cette erreur dans la version italienne, et alors il me téléphonera pour me dire de changer etc. et il sera ravi que je l’aie déjà fait. Je n’oublie pas de le consoler : « C’est mon métier et ça arrive si fréquemment que je n’y fais plus attention, j’oublie même de prévenir l’auteur. » Ou on ne lui dira rien parce que personne ne s’en sera aperçu et dans ce cas… ni vu ni connu.
Chez les auteurs, on distingue ceux qui ont le génie brouillon, et ceux qui ont le génie maniaque.
Certains metteurs en scène sont très précis et méticuleux, d’autres feront des erreurs en ayant peut-être plus de talent.
Quelquefois, je suis pourtant obligée de téléphoner à l’auteur. Dans ces cas-là, je ne ricane pas : « Vous vous êtes trompé ! » Je parle de fautes de frappe, de l’inattention d’une secrétaire (pauvres secrétaires, elles ont bon dos !). Et alors, l’auteur réfléchit, trouve la solution…
Mais il m’arrive aussi de heurter le scénariste, et de me faire ramasser. Il y a peu de temps, dans un scénario sur Napoléon à Sainte-Hélène, celui-ci lance au baron de Montchenu1 une insulte célèbre destinée à Talleyrand : « De la merde dans un bas de soie. » Acculée, j’appelle l’auteur pour lui dire que les Français vont bondir, qu’ils tiennent à leur Napoléon, etc. Et voilà que cet auteur se cabre. « Il n’y a pas que ça, il y a des dates inexactes… » Il me répond : « Mais après tant d’années dans le cinéma, vous ne savez pas encore que le cinéma, c’est la fantaisie, c’est l’invention, c’est la création ! »
La notion du temps dans les scénarios est aussi à la source de bien des erreurs.
Il faut faire très attention aux scènes qui commencent à l’aube. Il y a des aubes qui n’en finissent plus, durant lesquelles le scénariste flanque trente scènes interminables ; de quoi arriver à midi sonné ! Je commence donc par « avant l’aube », « premières lueurs de l’aube », « aube », « petit matin » et enfin « début du jour »… Chacune de ces indications étant utilisée trois ou quatre fois, selon le déroulement des scènes.
Idem pour le « crépuscule ». On ne sait jamais à quelle heure il commence, d’autant qu’en Italie, on ne met jamais « la nuit tombe », mais « le soir », ce qui pour nous correspond à « la soirée ». En Italie, la nuit, c’est vraiment très, très tard.
Il en est de même pour les diamants. Je crois savoir qu’un diamant brut ressemble à un caillou. Et pourtant, combien de fois ai-je vu gratter fiévreusement le sable avec les ongles, dans des déserts impitoyables, ou piocher dans des mines d’Afrique, pour voir « étinceler » de toutes ses facettes le plus beau des diamants…
La lune. Un navire sous la pleine lune aborde sur une plage inconnue. Scène suivante : les hommes descendent sur le sable et partent, à tâtons, dans la nuit noire…
Ne parlons pas des vêtements ! Un « manteau » devient, tour à tour, un « imperméable », un « blouson », etc. Il faut choisir dès le début l’un de ces vêtements, le plus adapté à la scène, ensuite le costumier se débrouillera sûrement.