L’érotisme dans la traduction
Autrefois, le cinéma était apparemment pudique. Aujourd’hui, les scénaristes doivent faire preuve d’une imagination fertile pour allécher le public.
Mais il faut penser que les scénaristes sont les mêmes, ou à peu près, idem les producteurs, idem les metteurs en scène. C’est-à-dire des hommes (pour la plupart) qui, en vieillissant, sont moins portés sur l’érotisme, devenant soit des pantouflards, soit des égrillards, soit des lubriques.
Il y a des scénarios où je sens l’auteur diablement malheureux de devoir imaginer (et décrire) des scènes scabreuses.
Les scénarios des jeunes réalisateurs sont puritains. Même s’ils ont l’intention de tourner des scènes « osées », l’introduction à ces scènes est en général : « Ils s’enlacent et tombent sur le lit. » Le reste à votre bonne fantaisie. Les jeunes sont pudiques. Ils peuvent montrer des scènes d’amour parfaites, très sensuelles à l’écran, mais ils ne se complairont jamais dans leur description au niveau du scénario.
Tandis que pour nos vieux renards qui se croient jeunes et à la page en se vautrant dans des scènes pornos, le processus est différent. Ils doivent d’abord penser à allécher le producteur pour monter le film. Alors, allons-y avec les descriptions ! J’ai traduit des scènes absolument impossibles à projeter dans des salles normales, qui s’adressent uniquement au producteur pour le faire « bander » et l’encourager à lâcher du fric dans l’entreprise. Parce qu’un gros producteur désirant tourner avec de vraies vedettes ne pourra jamais leur présenter le scénario tel quel. À ce moment-là, quand il a compris ça, on me redonne le texte, en me demandant d’alléger, car ça doit être lu par telle ou telle comédienne. J’essaie de savoir par qui. Selon l’âge, je dose mes effets. Pour ne pas l’épouvanter, je précise que les lumières sont tamisées et que ça se passe avec des « formes dans la pénombre… ». Sinon, à partir d’un certain âge, aucune vedette ne se risquerait à avoir un projecteur à un mètre de ses replis.
Les réalisateurs qui ont toujours été portés sur la chose, qui ont cet érotisme en eux, sont moins gênants. Ils ne se forcent pas, n’essaient pas de briser des tabous. Tandis que certains réalisateurs un peu déplumés, mais qui se considèrent toujours comme des séducteurs actifs, sont sincèrement convaincus qu’ils vont couper le souffle au public avec leurs trouvailles érotiques. Seigneur !
Tout le monde sait que ceux qui baisent, au cinéma, de la façon la plus joyeuse et sans complexes, ce sont ceux de l’équipe, machinistes, électricien, production, etc. Tous ceux qui n’ont d’autre ambition que de trouver un nouveau travail dans un prochain film. Les créateurs et les comédiens sont trop rongés pour aimer la gaudriole. Je sais que je vais faire bondir pas mal de gens qui me diront que l’érotisme n’est pas la gaudriole. Mais je me comprends.
Je connais un scénariste toujours chez son psychanalyste, un scénariste torturé qui doit faire des efforts incroyables pour décrire une scène érotique, et un autre scénariste, pantouflard, qui fait des efforts louables pour décrire une scène sado-maso… Heureusement que le réalisateur et les comédiens y ajoutent du leur…
Ainsi, quand quelqu’un de la production m’annonce au téléphone un scénario érotique, apparemment brutal mais foncièrement « pur », je sais que je vais avoir un porno. Je dois aussitôt rassurer mon interlocuteur en conseillant de « laisser cette brutalité apparente que le réalisateur adoucira en cours de tournage ». Ce qui veut dire :
– Moi, je serai cochonne, ne vous inquiétez pas.
Parce qu’ils sont très inquiets. Une dame aux cheveux blancs qui traduit… Saura-t-elle être assez moderne et débridée ? Sûrement autant qu’eux.
J’ajouterai que quand le film est vraiment porno, il n’y en a pas trace dans le scénario quand celui-ci doit être remis au « Ministero » pour approbation. Et alors, quand ça va au « Ministero », c’est presqu’une lecture de patronage.
Dans une agence qui me remet le travail de la RAI, on m’a dit d’un ton aigre-doux : « C’est vous qu’ils préfèrent comme traductrice, parce que vous bourrez de jurons et de descriptions scandaleuses… » On ne peut pas traduire les émules modernes du marquis de Sade dans la langue du Littré. Il faut savoir les transposer en argot.