Où mène la traduction ?
Souvent à des choses très étranges.
On me demande, un jour, de traduire « en catastrophe » (c’est l’habitude dans ce métier) le scénario de La Terrasse pour Jean-Louis Trintignant. Je devais le lui lire pour qu’il se rende compte de l’épaisseur de son rôle. Ça devait être une histoire de contrat.
Naturellement, je ne fais jamais ça ! Mais peut-on refuser quelque chose à Ettore Scola ?… Alors, allons-y ! Je me retrouve en face de lui et de Trintignant (il est charmant), dans un bureau, et je me lance… Le scénario m’intéressait parce que c’était un bon texte. Dans ce cas, c’est toujours plus facile à traduire. Il a d’ailleurs obtenu le prix du meilleur scénario à Cannes.
Les mots affluent d’eux-mêmes, aucun problème, c’est comme une musique. À un certain moment, je m’arrête pour demander à Scola si c’était tel ou tel député du Parti communiste italien qu’il avait voulu décrire, hésitant vraiment entre deux hommes politiques connus. Scola me regarde alors d’un air bizarre, mais très bizarre… Je suis prise de panique, est-ce que je traduis mal ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
Deux jours plus tard, il me demande de jouer le rôle de mon député communiste, en l’occurrence Vittorio Gassman. Je m’évanouis d’émotion : vertiges, éblouissements, ivresse de vanité, une vraie grenouille qui enfle…
N’oublions pas que j’ai eu, en 1945, un… 2e accessit de tragédie au Conservatoire de Bordeaux, dans… Hermione !
Je ne savais pas ce qui m’attendait !
Transformée en journaliste distinguée, élégante, talons hauts, yeux maquillés (J’en larmoie encore ! Quelle horreur, ces coups de crayon ! J’aurais dû faire assurer mes yeux comme traductrice, on a failli me rendre aveugle !). Trois semaines d’enfer que je n’oublierai pas. Je ne recommencerai jamais plus !
Ajoutons que la panique régnait dans les productions car on ne me trouvait plus. Bellochio m’a alors fait envoyer son texte sur le plateau et je l’ai traduit sur le piano à queue du décor.
Tout ce que j’aurais à dire ici n’a aucun rapport avec la traduction, alors je m’en dispense. Un détail savoureux cependant : le scénariste de La Terrasse, Age, tenait le rôle d’un psychanalyste. Pendant la scène devant le buffet, il était à côté de moi et je l’ai vu se décomposer parce qu’il n’arrivait pas à dire une phrase très compliquée… qu’il avait lui-même écrite. Pour lui aussi, ce fut certainement une expérience !
Un enfer peut-être, mais quelle gloire !