De Barcelone aux bords du Rhin : le doublage et le sous-titrage au fil des congrès

2013 constitue une année riche en manifestations internationales ayant donné une place inédite à la traduction audiovisuelle, particulièrement au doublage et au sous-titrage. La FIAF a accueilli la question des versions doublées et sous-titrées dans son congrès de Barcelone. Le doublage a été mis à l’honneur sur les rives du lac Léman. La reconnaissance de l’histoire de la traduction audiovisuelle a gagné du terrain sous le soleil rhénan. Ce compte rendu est un journal des pérégrinations européennes effectuées par son auteur à l’occasion de communications données dans presque tous ces congrès.

Barcelone, 69e congrès de la Fédération internationale des archives du film (21-27 avril 2013)

Fondée officiellement en 1938 sous l’égide des toutes récentes cinémathèques française, britannique, allemande et américaine, la FIAF fêtait cette année ses soixante-quinze ans d’existence à l’occasion de son 69e congrès, organisé à la perfection par la Filmoteca de Catalunya (Cinémathèque de Catalogne) à Barcelone. Durant une semaine, les délégués des cinémathèques et archives du film du monde entier ont débattu des « Multiversions », thème qui a aussi donné lieu à une exposition et à des projections de films restaurés1.

Ce sujet a plus particulièrement fait l’objet d’un symposium de deux journées au cours desquelles vingt-neuf communications ont été effectuées par trente-deux conservateurs, restaurateurs et chercheurs universitaires et indépendants2. La réunion de deux mondes qui ne se croisent pas si souvent a parfaitement fonctionné, dans un esprit d’écoute, de discussion et de respect mutuel.

Par « multiversions », les organisateurs n’entendaient pas seulement les « versions multiples » réalisées aux États-Unis et en Europe au tout début des années 1930 afin de surmonter les obstacles linguistiques apparus avec le parlant dans la diffusion internationale des films. Dans son introduction au congrès, Esteve Riambau, directeur de la Filmoteca de Catalunya, a eu recours à une juste métaphore pour décrire le statut de la production cinématographique, celle de l’iceberg : sa partie émergée représente les œuvres « originales » considérées comme « uniques » ; au-dessous, la grande masse immergée des multiversions (directors’ cuts, doubles négatifs d’un même film destiné à plusieurs marchés, versions doublées, entre autres catégories).

Marie Frappat a fait l’historique de la prise de conscience de la coexistence des multiples versions d’un même film, tandis que François Thomas en a établi une typologie qui compte désormais plusieurs dizaines de catégories. Grands connaisseurs de la question, ces deux chercheurs ont animé sur ce thème le groupe de recherche « Film pluriel » à l’Université Paris 3, qui doit mettre un terme en 2013 à sept années d’activités3. Entre autres types de films évoqués lors du symposium barcelonais, citons pêle-mêle des films pédagogiques américains montés dans les années 1940 et 1950 à partir de séquences extraites de longs métrages hollywoodiens ; les films officiels des éditions successives des Jeux olympiques ; la restauration délicate des films muets d’Alfred Hitchcock ; celle d’Intolérance, considéré par D. W. Griffith comme jamais vraiment achevé, étant donné le nombre élevé de versions concurrentes existantes. Les questions déontologiques soulevées par la restauration numérique de films sur pellicule ont traversé l’ensemble des débats.

Les versions doublées ont été abordées sous plusieurs angles. Il faut ici souligner l’évolution très significative des responsables d’archives du film dans leur volonté d’intégrer ces versions aux thèmes du symposium et ce, dès l’appel à contributions. C’est là une prise de conscience qui ne peut qu’être saluée dans nos colonnes. Le doublage a été particulièrement étudié du point de vue historique et esthétique. Il fut ainsi question de la distribution dans l’Espagne franquiste des années 1950 du film indien Mother India (Mehboob Khan, 1957) et, plus particulièrement, de son accueil inattendu dans la petite ville de Quismondo, dans la région de Tolède. Alberto Elena Díaz, spécialiste du cinéma indien et asiatique à l’Université Carlos III de Madrid, a montré comment les spectateurs de cette ville avaient été enthousiasmés par une version en noir et blanc, réduite de moitié, d’un film originellement en couleur, dont le doublage en espagnol incorpore un commentaire reflétant l’idéologie franquiste4. Mentionnons au passage l’intense activité dont font preuve actuellement les chercheurs espagnols sur l’utilisation du doublage à des fins de manipulation idéologique sous le régime de Franco5.

Spécialiste des versions multiples produites par l’UFA, Chris Wahl (Hochschule für Film und Fernsehen « Konrad Wolf » de Potsdam) en a proposé un panorama historique et typologique6. Le conglomérat allemand a produit davantage de versions multiples que les studios hollywoodiens et sur une plus longue durée, puisqu’on y a réalisé ce type de versions de 1929 à 1939. Les toutes premières années ont aussi donné lieu à des expérimentations de doublage : selon un procédé appelé « système optique », les acteurs d’un film allemand devant être exporté mimaient les répliques en langue étrangère ; puis des comédiens parlant cette langue enregistraient leurs dialogues en synchronisme avec les mouvements de bouche des acteurs à l’écran. Il semble que ce procédé n’ait pas été utilisé durablement outre-Rhin.

Au même moment, d’autres expériences étaient tentées, pour l’exploitation des films étrangers en Allemagne cette fois. C’est ce qu’a montré Stefan Drössler, directeur du Filmmuseum de Munich. Il s’agissait d’associer le doublage au refilmage de certains plans ou scènes. C’est ainsi qu’a été réalisée, en 1931 à Hollywood, la version allemande de La Piste des géants (The Big Trail, Raoul Walsh, 1930), western épique et premier film sonore américain tourné en extérieur. Dans les extraits de cette version sélectionnés par Stefan Drössler, les plans d’ensemble sont ceux de la version tournée en anglais dans lesquels les comédiens originaux sont doublés en allemand. En revanche, les plans rapprochés et les gros plans ont été refilmés avec des acteurs allemands, approximativement selon les mêmes cadrages. Toutefois, l’aspect hybride de cette version est accentué par les différences de contraste entre les images des deux types de plan : tandis que le noir et blanc des plans refilmés en allemand est bien contrasté, les plans larges (doublés) se distinguent par un manque évident de contraste que S. Drössler n’a pas commenté. Il est probable que ce défaut de contraste soit dû au contretypage (reproduction des copies) des plans doublés à partir d’une copie de la version originale américaine, alors que les plans directement tournés en allemand n’ont sans doute pas souffert du contretypage, puisqu’il s’agit d’images « originales ».

L’association du doublage et du refilmage de scènes est le procédé auquel eurent recours les auteurs de la version française de M (Fritz Lang, 1931), intitulée Le Maudit. Représentant la Cinémathèque universitaire parisienne au symposium de la FIAF, Michel Marie – un des pionniers de l’introduction du cinéma à l’université française – s’est penché sur cette version, sortie en France en 1932, mais aujourd’hui méconnue. Le Maudit n’est ni une version entièrement doublée ni une version tournée en français sur le mode des versions multiples, mais bien une combinaison des deux. On y décèle trois types de sons : son postsynchronisé, son direct et « play-back ». Ils correspondent respectivement aux dialogues doublés, aux scènes refilmées avec des acteurs français et, enfin, aux plans interprétés par Peter Lorre dans la scène finale du tribunal des gangsters. L’acteur allemand a en effet rejoué cette scène en français, mais c’est la voix d’un comédien français que l’on entend (probablement celle de Jean Rozenberg7). Si le chef-d’œuvre de Lang est aujourd’hui connu en France dans sa version originale en allemand, l’examen minutieux de sa version française permet, d’une part, de mieux comprendre la nature de sa réception en France en 1932 (vingt semaines en exclusivité à Paris) et, d’autre part, d’éclairer les pratiques mises en œuvre au début du parlant pour « traduire » les films, traduction qui relevait bien souvent d’une recréation à part entière.

Les exemples de La Piste des géants, de M / Le Maudit et des films UFA doublés par « play-back » montrent à quel point il est capital de se pencher attentivement sur des versions longtemps considérées comme secondaires, voire négligeables, afin de mieux cerner les conséquences de la généralisation du parlant sur la diffusion internationale des films. Cependant, pour y parvenir, il faut pouvoir accéder aux copies encore existantes et, préalablement, les identifier avec précision. C’est la question que j’ai soulevée – « Les versions sous-titrées et doublées, des versions “originales” dignes de conservation ? » – dans une communication que les organisateurs avaient incluse dans la dernière session du symposium, intitulée « Conservation et catalogage ».

Après un bref historique du développement du sous-titrage et du doublage des films en français, j’ai proposé une méthode pour répertorier et analyser les versions sous-titrées et doublées de films étrangers. Inspirée par mes recherches en la matière8, cette méthode s’appuie sur trois approches : historique, technique et esthétique. Grâce à une bonne connaissance de l’histoire du sous-titrage et du doublage, il est en effet possible d’identifier une version sous-titrée ou doublée selon le laboratoire et le procédé de sous-titrage, ou le studio de doublage, où elle a été effectuée, ainsi que d’après les noms des adaptateurs, dialoguistes, directeurs artistiques, comédiens de doublage, à condition qu’ils figurent sur la copie ou sur des documents de travail. Il me semble indispensable d’associer en permanence ces trois approches et de ne privilégier aucun point de vue par rapport aux deux autres. Effectuer une analyse esthétique d’une version sous-titrée, quelle que soit son époque, nécessite d’en connaître les conditions de réalisation et de réception, afin de ne pas commettre d’erreurs d’interprétation non seulement du contenu des sous-titres, mais aussi du film proprement dit. Il en va de même des versions doublées dont l’analyse est rendue plus complexe encore par le nombre et la variété des personnes qui ont participé à sa réalisation. J’ai ainsi tenté de démontrer que les versions sous-titrées comme les versions doublées sont des versions « originales » à part entière, dignes d’être conservées, mais à condition de savoir quelles versions conserver et pour quelles raisons.

Spécialistes en matière de catalogage, Mariona Bruzzo (Filmoteca de Catalunya), Dominique Moustacchi et Laurent Bismuth (Archives françaises du film du CNC) et Georg Eckes (Deutsches Filminstitut, Francfort) sont intervenus dans cette même session sur les questions apparemment arides de normes de catalogage. En réalité, la définition de telles normes est riche d’interrogations passionnantes sur la manière dont on définit une œuvre cinématographique et, particulièrement, ses différentes versions. Diverses approches sont en concurrence parmi les responsables des cinémathèques et beaucoup d’efforts restent à faire pour parvenir à une méthode qui satisfasse tout le monde. Du point de vue des questions qui nous intéressent ici, on regrettera que les critères retenus actuellement ne permettent pas encore de renseigner les archivistes et les chercheurs sur la nature précise des versions doublées et sous-titrées conservées dans les archives.

La précision du catalogage est d’autant plus importante que le grand public a de plus en plus accès à des films restaurés par des cinémathèques grâce à l’édition en DVD. Cependant, la mention de la provenance des copies restaurées est fréquemment absente de ces éditions, comme l’ont souligné à propos des films muets Paolo Cherchi Usai (George Eastman House, Rochester) et André Gaudreault (Université de Montréal). C’est également le cas de la très grande majorité des versions doublées figurant sur les DVD. D’où l’importance de la prise en compte des informations relatives au doublage (et au sous-titrage) dans les catalogages effectués par les archives.

Le thème des « multiversions » aura été traversé par la question récurrente et problématique de « l’original » en cinéma. À cet égard, le 69e congrès de la FIAF marque très probablement un tournant dans la manière de considérer les versions concurrentes d’un même film, y compris ses versions doublées et sous-titrées. La notion de « version originale », au sens esthétique du terme, n’a plus lieu d’être, maintenant que la partie immergée de l’iceberg, loin de fondre, remonte inexorablement à la surface de l’histoire du cinéma.

Coda parisienne : la FIAF au Film pluriel (25 mai 2013)

Un mois après ce symposium, le Film pluriel proposait une journée « Barcelone à Paris » qui a réuni une partie des intervenants français au congrès de la FIAF. Chacun d’eux a pu développer à nouveau son propos et, surtout, l’illustrer par des extraits de films que le temps imparti à Barcelone ne lui avait pas toujours permis de présenter. La restauration de La Roue d’Abel Gance (1923) a ainsi pu être évoquée avec passion, séquences et photogrammes à l’appui, par Céline Ruivo (Cinémathèque française) dans une présentation en solo, après celle effectuée à deux voix avec Caroline Fournier (Cinémathèque suisse) à la FIAF. Michel Marie a montré Peter Lorre mimant le français dans Le Maudit. Des extraits de divers films sous-titrés et doublés m’ont permis d’illustrer mon approche de l’identification de ces films. Enfin, une table ronde a rassemblé l’ensemble des intervenants, ainsi que Dominique Moustacchi (Archives Françaises du Film), pour un bilan des questions abordées à Barcelone. La prise de conscience durable de la nature multiple des versions d’un même film en est la principale conclusion et les travaux pluriannuels du Film pluriel y ont très fortement contribué.

Lausanne, colloque international « Une autre voix, un autre texte » et table ronde autour du doublage (25-27 avril 2013)

Co-organisé par Alain Boillat et Irene Weber Henking à l’Université de Lausanne (UNIL), ce colloque était sous-titré « Histoire et théorie des pratiques de traduction au cinéma9 ». Ce thème général a été traité en quatre demi-journées du point de vue de la traductologie, de l’histoire et de la théorie du cinéma, et de la profession de traducteur audiovisuel. Quatorze intervenants francophones et germanophones ont proposé des communications sur divers aspects de la question. J’évoquerai ici la seule journée à laquelle j’ai pu assister.

La grande originalité de ce colloque universitaire aura été de faire entrer l’histoire et l’esthétique du cinéma dans l’étude de la traduction des films, domaine trop longtemps dominé par la traductologie qui s’est strictement focalisée sur le texte au détriment des autres éléments propres au cinéma : l’image et le son. Dans la dimension sonore, la parole et la voix, qui occupent pourtant une place essentielle, ont été elles-mêmes longuement négligées au profit de l’image par les observateurs et les analystes du cinéma, dans et hors de l’université. Quant à la parole et à la voix dans les versions doublées, elles n’ont tout simplement pas été jugées dignes d’intérêt au motif que le doublage serait « contre nature », comme l’en accusèrent Jean Renoir et Jacques Becker notamment. Ces remarques liminaires sont destinées à donner toute la mesure du colloque de Lausanne.

À cet égard, la communication d’Alain Boillat portait un titre programmatique : « La voix enregistrée comme représentation. Pour une intégration du dubbing et du sous-titrage à un modèle théorique de l’énonciation filmique ». L’emploi du mot dubbing souligne la coexistence de ce terme américain avec le mot doublage dans les revues de cinéma francophones au tout début des années 1930. Il met ainsi en évidence l’importance de cette période de transition dans les moyens mis en œuvre par cette méthode et les avis variés qui lui ont été portés. Toutefois, cette communication ne s’est pas limitée à cette seule période. Soucieux de décortiquer le processus du doublage dans une perspective esthétique et théorique, Alain Boillat distingue « l’oralité » (la performance de l’acteur de doublage) de la « composante technique » (l’enregistrement proprement dit). Illustrant son propos de quelques films, il a notamment présenté un extrait de Providence d’Alain Resnais (1977). Ce film est construit sur le monologue intérieur de Clive Langham, romancier au seuil de la mort, démiurge qui manipule par la parole les membres de sa famille dont il fait des personnages de fiction. Dans une scène, Sonia Langham (Ellen Burstyn) prononce des mots dont quelques-uns sont tout à coup émis par la voix de l’écrivain (John Gielgud), en parfait synchronisme avec les mouvements de bouche de sa belle-fille. Au moment même où elle les prononce, Sonia paraît troublée de s’entendre prononcer des mots qui ne sont pas les siens avec une voix qui n’est pas la sienne non plus. Mais le trouble n’est que passager. La jonction d’un corps et d’une voix totalement étrangers l’un à l’autre fait naître un effet propre au cinéma et qui ne saurait être analysé par le seul examen du texte. Démonstration fort convaincante, même si l’on peut objecter qu’il est ici davantage question de postsynchronisation que de doublage proprement dit.

Auteur d’une étude comparative de la version originale et de la version française de La Terre tremble (La terra trema, Luchino Visconti, 1948), Delphine Wehrli (Université de Lausanne) a magistralement présenté la série de manipulations subies par ce film. Dans la première version réalisée par Visconti, la famille de pêcheurs dont le film fait le portrait s’exprimait dans son dialecte, indice de son oppression économique et idéologique. Une seconde version postsynchronisée en italien « uniformisé » a transformé les membres de cette famille en personnages ambitieux et égoïstes. Exploitée en France, cette version remaniée a pris une troisième forme avec l’adjonction d’un commentaire lénifiant et fallacieux par rapport à la version d’origine. Il s’agit d’une version sous-titrée, mais dont le commentaire en voix off est dit en français. À partir de ces transformations, qui sont autant de déformations, Delphine Wehrli a montré comment les procédés de traduction audiovisuelle pouvaient être mis au service d’un discours ou d’une idéologie. Son travail rejoint en cela celui des chercheurs espagnols qui étudient les manipulations du « doublage franquiste ».

Les versions multiples étaient aussi au rendez-vous de Lausanne, non pas celles, de plus en plus étudiées, des années 1930, mais les réalisations aujourd’hui très méconnues de l’après-guerre. C’est à Martin Barnier (Université de Lyon 2), expert reconnu en la matière, que l’on doit cet éclairage sur le prolongement des versions multiples. On a même eu la surprise d’apprendre que l’association du doublage et du refilmage de plans n’était pas l’apanage des débuts du parlant, mais qu’elle était encore d’actualité dans les années 1950 pour des productions franco-espagnoles avec le chanteur Luis Mariano comme, par exemple, La Belle de Cadix (Raymond Bernard et Eusebio Fernández Ardavín, 1953).

Le colloque lausannois s’est accompagné d’une soirée spéciale pour fêter le dixième anniversaire de la revue Décadrages et lancer le numéro consacré au doublage10. Co-organisée par les animateurs de cette revue, Alain Boillat et François Bovier, et la Cinémathèque suisse, sise à Lausanne, cette soirée destinée à un public élargi était composée d’une table ronde autour du doublage et de la projection de Lily la tigresse (What’s Up, Tiger Lily?, 1966), détournement d’un film de gangsters japonais par Woody Allen grâce au doublage. Différents aspects du doublage ont été évoqués lors de cette table ronde qui réunissait Cédric Bourquard, programmateur d’un distributeur suisse, Hervé Icovic, directeur artistique à Paris, Sylvestre Meininger, adaptateur et vice-président de l’ATAA, Stefano Leoncini, responsable d’une formation en doublage et sous-titrage à l’Université de Nice, ainsi que l’auteur de ces lignes. Chacun des participants s’est exprimé tour à tour sur les origines historiques du doublage et les procédés techniques, les rôles de l’adaptateur et du directeur artistique et les rapports qu’ils entretiennent, les stratégies de distribution et la formation universitaire des traducteurs de l’audiovisuel en France. Le temps manquait pour que toutes les interventions soient suffisamment développées. De même que certains orateurs, le public aurait notamment aimé entendre plus longuement Hervé Icovic parler de son approche peu orthodoxe de l’enregistrement, au service du naturel et, surtout, de l’atmosphère du film original11. Il faut néanmoins saluer l’initiative conjointe de l’UNIL et de la Cinémathèque suisse d’avoir eu l’audace d’évoquer le doublage devant un public de cinéphiles qui a fait preuve d’une grande qualité d’écoute face à un thème réputé anti-cinéphilique.

Intermède rennais : le projet européen Optimale (6 juin 2013)

L’Université Rennes 2 a accueilli la conférence clôturant le programme européen Optimale dont elle était partenaire. Ce programme pluriannuel avait pour but de renforcer la visibilité et la pertinence des formations professionnelles de traducteurs en Europe12. Intitulée « Optimiser la place de l’humain en traduction : faire face au défi technologique », cette conférence bilingue anglais-français était consacrée à différents types de traduction. Une petite session (« Traduction audiovisuelle et multimédia : quelles nouvelles voies ? ») était dévolue à la traduction audiovisuelle, principalement au sous-titrage. Trois communications ont eu pour objet l’utilisation de la technologie dans l’enseignement de la voice-over et du doublage (Rocio Banos Pinero, Imperial College de Londres), le sous-titrage automatique (Sabrina Baldo-de Brébisson, Université d’Évry) et la traduction dans les médias albanais (Mirela Kumbaro, Université de Tirana).

Si la dernière intervention semblait un peu en marge du sujet et la première surtout axée sur la dimension linguistique de la traduction audiovisuelle, c’est l’intrigante question servant d’intitulé à la deuxième qui avait retenu mon attention : « Le sous-titrage automatique : une nouveauté technologique exploitable pour les adaptateurs professionnels ? ». L’expression « sous-titrage automatique » ne concerne ici que la traduction proprement dite et non la phase de repérage, contrairement à ce qu’on pourrait croire puisque des logiciels existent pour l’effectuer. Après avoir présenté succinctement une liste de logiciels de sous-titrage disponibles gratuitement sur Internet, Sabrina Baldo-de Brébisson s’est exclusivement intéressée à l’utilisation de Google Voice et de Google Translate, logiciels disponibles via le célèbre moteur de recherche. S’interrogeant sur la pertinence d’utiliser ces deux outils pour effectuer des adaptations sous-titrées de films (fiction et documentaires), la chercheuse les a mis à l’épreuve. Le résultat était attendu : la reconnaissance vocale et la transcription automatique par Google Voice ne sont guère fiables. La traduction automatique par Google Translate des textes obtenus à l’aide de Google Voice ne produit donc pas de traduction exploitable professionnellement.

C’est en cela que cette communication fut pour le moins déconcertante, puisqu’elle visait à évaluer la pertinence de tels outils dans leur utilisation éventuelle par des traducteurs professionnels ! Il aurait suffi de demander leur avis sur la question à un échantillon d’adaptateurs pour obtenir un résultat semblable. C’est aussi la preuve d’une méconnaissance manifeste de la manière dont travaillent les professionnels de la traduction audiovisuelle qui ont à leur disposition, soit à titre personnel, soit via les entreprises qui les emploient, des outils autrement plus efficaces pour réaliser les adaptations, leur esprit d’analyse n’étant pas le moindre, ce dont sont dépourvus les logiciels examinés par Sabrina Baldo-de Brébisson. On resterait stupéfait qu’une étude de ce type ait pu trouver audience dans un colloque international si l’on n’en déchiffrait pas l’origine : le fansubbing. Les logiciels présentés figurent en effet parmi la panoplie des sous-titreurs amateurs dont l’activité est devenue le sujet d’études favori d’un nombre croissant d’universitaires, souvent non praticiens de la traduction eux-mêmes. Pareil fourvoiement démontre a contrario, s’il en était besoin, la qualité des autres recherches recensées dans ces pages.

Germersheim, 7e congrès de l’European Society for Translation Studies (29 août-1er septembre 2013)

Fondée en 1992, l’European Society for Translation Studies (EST, Société européenne de traductologie) réunit des chercheurs, majoritairement universitaires, intéressés par les questions de traduction dans tous les domaines[13]. Principalement européens, ses membres sont toutefois répartis dans quarante-six pays du monde entier. Les chercheurs francophones, et particulièrement français, y sont peu représentés. L’EST tenait cette année son congrès triennal dans la petite ville allemande de Germersheim (Bade-Wurtemberg), sur le thème très général des rapports entre centres et périphéries. Une vingtaine d’ateliers, d’une durée d’une à trois demi-journées chacun, a rassemblé plus de 330 orateurs qui proposaient des communications sur des sujets aussi divers que la traduction des grandes œuvres littéraires mondiales, la terminologie, l’histoire de l’interprétation ou la traduction dans le domaine médical, notamment. Trois ateliers étaient consacrés aux aspects historiques et contemporains de la traduction audiovisuelle.

Sous la houlette de Carol O’Sullivan (Université de Bristol), l’atelier « Audiovisual Translation : from the past to the future » (la traduction audiovisuelle : du passé à l’avenir) a consacré une grande partie des interventions et des débats aux origines de la traduction audiovisuelle, c’est-à-dire aux débuts du cinéma parlant. Ce fut l’occasion d’aborder la traduction audiovisuelle sous l’angle, encore peu fréquent, de l’histoire du cinéma et des études cinématographiques. Ouvrant l’atelier, j’ai souligné l’importance capitale d’une bonne connaissance des origines et du développement des différentes pratiques de doublage et de sous-titrage pour l’analyse esthétique des versions doublées et sous-titrées. J’ai illustré mon propos par une étude de cas méthodologique à partir de ma propre recherche sur l’histoire et l’esthétique du doublage et du sous-titrage de films en France.

S’intéressant aux mêmes questions du point de vue anglophone, Carol O’Sullivan s’est particulièrement penchée sur les débuts du sous-titrage en Grande-Bretagne et aux États-Unis. La diffusion des films étrangers ayant été réduite dans ces pays au début du parlant, le sous-titrage y a connu une longue période de transition pendant laquelle les sous-titres étaient rares et s’apparentaient davantage aux intertitres du muet. C’est notamment le cas de la version sous-titrée en anglais de Quatre de l’infanterie (Westfront 1918, G. W. Pabst, 1930), seulement pourvue de sept sous-titres lors de ses projections londoniennes ! C. O’Sullivan a soulevé deux questions essentielles, mais rarement évoquées : comment faire l’histoire de la traduction de films et comment établir un lien entre la réception des versions sous-titrées et la conformité de tel ou tel film aux canons esthétique et historique ? Deux questions qui ont à nouveau posé le problème de l’accès aux copies conservées par les cinémathèques et de leur identification13.

Le point de vue historique a pris un aspect totalement inédit et passionnant avec la communication de la chercheuse israélienne Rachel Weissbrod (Université Bar Ilan de Tel Aviv) qui a dressé un tableau de la diffusion des films des débuts du cinéma parlant dans la Palestine sous mandat britannique. S’étant produit pendant la période de ce mandat (1920-1948), l’avènement du parlant a soulevé des controverses linguistiques dans le territoire. Au moment où les dirigeants sionistes s’efforçaient d’imposer l’hébreu comme langue quotidienne des juifs, la multiplicité des langues au cinéma fut ressentie comme une menace contre l’édification de l’unité linguistique. Rangé parmi les langues étrangères, le yiddish fut même la plus rejetée. Le réseau de distribution et d’exploitation des films en Palestine était très réduit. Les mêmes personnes se chargeaient souvent de l’importation et de l’exploitation des films étrangers, ainsi que de leur traduction. Les premiers traducteurs de films du territoire furent donc des hommes-orchestres. Rachel Weissbrod s’est appuyée sur les autobiographies de deux d’entre eux, pionniers en la matière, pour montrer comment le sous-titrage et le doublage ont été très artisanalement exploités en Palestine durant cette période. Leurs expérimentations durent se faire à la marge en raison du rejet des films en langues étrangères, d’une part, et de la censure britannique, d’autre part.

La censure est également au cœur de l’étude consacrée par Rosario Garnemark (Université d’Oslo) au doublage en espagnol de Monika (ou Un été avec Monika, Sommaren med Monika) d’Ingmar Bergman (1953). De 1962 à 1967, le régime franquiste chercha à redorer son image internationale, au cours d’une période dite d’« ouverture culturelle » (Apertura). La distribution en salles d’œuvres de Bergman fit partie de cette politique d’ouverture, mais les films du cinéaste en souffrirent. Pour les critiques espagnols approuvés par le régime, le cinéma bergmanien était l’œuvre d’un moraliste qui condamnait la décadence morale. Toute trace de critique sociale et d’interrogation sur les rapports sociaux entre les sexes était mise de côté dans leurs appréciations. C’est à la lumière de tels points de vue que le doublage en espagnol de Monika a été effectué. Le doublage a ainsi servi d’outil de manipulation des idées bergmaniennes sur la société et la religion, afin de récupérer une œuvre socialement dérangeante sous les apparences d’une ouverture culturelle et morale14.

D’autres points de vue historiques sur la traduction audiovisuelle ont permis d’en savoir plus sur ses premiers développements en Suède et en Italie, notamment. Christopher Natzén (Bibliothèque nationale de Suède) a expliqué comment et pourquoi seuls deux films ont été doublés dans toute l’histoire de la distribution cinématographique en Suède. L’échec du doublage auprès du public a précipité sa disparition dès 1931. Rapidement apprécié, le sous-titrage s’est aussitôt imposé, les langues étrangères n’étant pas considérées comme un obstacle majeur. C. Natzén a, par ailleurs, souligné que la conservation des copies sous-titrées n’était pas particulièrement privilégiée en Suède. Pour sa part, Irene Ranzato (Université La Sapienza de Rome et Imperial College de Londres) s’est intéressée à la manière dont les variétés linguistiques (dialectes, accents, parlers particuliers) des films étrangers sont rendues dans les versions doublées en italien. Si son analyse comparative est demeurée assez classiquement traductologique, I. Ranzato a fait précéder celle-ci d’une présentation du contexte historique ayant présidé à la toute-puissance du doublage en Italie. On sait le rôle décisif qu’a joué la volonté de Mussolini de bannir les langues étrangères15 et d’imposer le doublage en italien. Pourtant, ce rejet de la langue étrangère au cinéma n’est pas né avec le fascisme, mais dès le début des années 1910. C’est plus particulièrement la manière de rendre les accents étrangers qui, paradoxalement, a imposé, via les intertitres, l’usage d’un italien uniformisé, dépouillé de ses diversités dialectales. Après une brève période moins stricte pendant les années 1920, l’imposition de l’italien romano-florentin s’est faite par le doublage, mis au service du régime fasciste.

À ces approches historiques se sont ajoutées des réflexions esthétiques consacrées exclusivement au sous-titrage. Wendy Fox (Université de Mayence) a posé, de façon très concrète, la question de la place du sous-titre dans l’image. Estimant que le sous-titre traditionnellement placé au bas de l’image constitue un corps trop étranger à celle-ci, cette jeune chercheuse propose de nouveaux modes de placement du sous-titrage en fonction de l’espace occupé à l’écran par les locuteurs. Elle a montré des exemples dans lesquels les sous-titres apparaissent au milieu de l’image, entre deux personnages en conversation vus en champs-contrechamps. Dotés d’une police de caractères s’intégrant bien dans le plan de l’image, les sous-titres s’incorporent littéralement à celle-ci en étant placés, par exemple, à hauteur de bouche ou de regard d’un protagoniste. Si l’expérimentation est intéressante, on reste dubitatif sur la généralisation d’une telle pratique. Pour le spectateur, le sous-titre semble apparaître de façon aléatoire et il est impossible d’anticiper son placement. Ce qui vise à une meilleure intégration dans l’univers visuel du film pourrait s’avérer contre-productif et rendre le sous-titre envahissant. Certes, ce n’est peut-être qu’une habitude à acquérir par le spectateur. Pour la défense de cette pratique, on pourrait arguer que le lecteur a fini par s’habituer aux bulles de la bande dessinée où texte et image s’interpénètrent. Mais cette imbrication fait partie du projet artistique même des auteurs de bandes dessinées. Ce n’est pas le cas du cinéma, même si Wendy Fox souhaiterait justement associer les cinéastes à cette nouvelle manière de sous-titrer, dès la préproduction. Il est permis d’être sceptique.

La place du sous-titre dans l’image a également donné lieu à une réflexion plus philosophique de la part du traducteur et chercheur Dionysios Kapsaskis (Université de Roehampton, Londres) qui s’exprimait au sein d’un atelier baptisé « Audiovisual Translation Today: centre-periphery relations » (la traduction audiovisuelle aujourd’hui : relations centre-périphérie). S’inspirant d’études théoriques sur le cinéma (Walter Benjamin, André Bazin, Roland Barthes, Christian Metz, notamment), il interroge l’interférence esthétique que produit le sous-titre dans la réception du film. Si D. Kapsaskis considère qu’un film n’est pas complet tant qu’il n’est pas doublé ou sous-titré pour surmonter les barrières linguistiques, il estime qu’en ajoutant un code sémiotique aux autres codes du film, le sous-titrage en perturbe le déroulement. La « présence corporelle » du sous-titre contrecarre, selon le chercheur, « l’effet de réel » visé par le cinéma. Dans cette réflexion parfois ardue, mais riche, D. Kapsaskis associe le point de vue de l’analyse cinématographique aux questions de traductologie.

C’est assurément d’une telle association des disciplines et des approches qu’est en train de naître un renouveau salutaire dans l’étude de la traduction audiovisuelle. Les études comparatives uniquement fondées sur l’analyse des textes (dialogues originaux, dialogues doublés et/ou sous-titrés en langue étrangère) paraissent désormais de plus en plus éculées. Il n’en manquait pourtant pas à Germersheim. Selon les mots de l’auteur d’une de ces études, les traducteurs audiovisuels auraient « aujourd’hui besoin de bien davantage que de compétences exclusivement linguistiques ». Pareille affirmation est plutôt le reflet de l’évolution tardive de certains traductologues qui prennent enfin conscience que la traduction audiovisuelle est loin d’être une simple question de savoir linguistique. Ils projettent ainsi sur les traducteurs leurs propres difficultés à appréhender l’audiovisuel comme un ensemble indissociable et non comme un « texte ».

La question du fansubbing (sous-titrage amateur) a fait à elle seule l’objet d’un atelier auquel je n’ai pu assister, différents ateliers ayant eu lieu simultanément. Les résumés figurant dans le Book of Abstracts du congrès en donnent néanmoins une idée. Différents chercheurs étudient la question du point de vue chinois, coréen, japonais, serbe ou brésilien. Les uns voient en cette pratique un acte politique parce qu’elle permettrait de redéfinir la question de la propriété intellectuelle et, ce faisant, de toucher le capitalisme là où cela fait mal, ou bien un moyen de contestation d’un ordre politique autoritaire. D’autres s’intéressent plutôt à l’aspect linguistique : utilisation par les amateurs d’une langue relais (généralement l’anglais), meilleure diffusion d’une langue dite « rare » via les sous-titres. L’intitulé de cet atelier, « Fansubbing, non-professional subtitling has come to stay » (le fansubbing, sous-titrage non-professionnel, n’est pas près de disparaître) correspond à une réalité dont la permanence est néanmoins sujette à caution. Alors qu’elle demeure illégale (si l’on prend comme référence la convention de Berne), et pas uniquement pour des questions commerciales, cette activité est en passe d’acquérir une légitimité que lui confèrent certains chercheurs sans imaginer qu’elle pourrait bien leur ôter la leur. Certes, aucun thème ni aucune activité ne sont indignes d’être étudiés. On peut toutefois s’interroger sur le bien-fondé de telles recherches dont l’un des objectifs avoués est de s’en prendre systématiquement aux traducteurs professionnels16 dont la passion, voire l’abnégation, n’a rien à envier à celles des fansubbers.

Un atelier de synthèse a réuni plusieurs participants des autres ateliers audiovisuels : « Audiovisual Translation in the Periphery of Translation Studies » (la traduction audiovisuelle à la périphérie de la traductologie). Plusieurs thèmes étaient en débat : le statut de la traduction audiovisuelle, la recherche dans ce domaine, l’interdisciplinarité et la diffusion de la recherche. Les participants ont convenu que ce type de traduction n’était plus à la périphérie des études sur la traduction, notamment grâce à l’interdisciplinarité accrue qu’elle met en œuvre. Ils ont aussi souligné la nécessité de rendre les spectateurs « plus visibles » afin que les diffuseurs soient incités à améliorer la qualité des traductions. Intervenant au nom de l’ATAA, j’ai présenté les initiatives de l’association qui vont dans ce sens en cherchant à accroître la visibilité des traducteurs de l’audiovisuel (prix du doublage et du sous-titrage, publication de L’Écran traduit). Enfin, l’importance de la diffusion de la recherche dans ce domaine a été mise en lumière, tant par le biais des revues académiques renommées que grâce aux revues en ligne accessibles à tous.

Une boucle bouclée

Pour conclure ce journal de voyage dans les congrès d’Europe, je relèverai d’abord la très faible présence des francophones dans les colloques internationaux consacrés à la réflexion pluridisciplinaire sur la traduction audiovisuelle. Celle-ci intéresse principalement les chercheurs espagnols (également très présents dans les universités britanniques), portugais et italiens, ainsi que les universitaires de Belgique néerlandophone et des pays est-européens.

Une partie des études menées privilégie les questions concernant l’évolution technologique, l’automatisation du sous-titrage ou la standardisation des pratiques, impulsée par l’inclination normative de nombreux chercheurs qui ne sont pas praticiens. Mais cette tendance ne saurait masquer le fait qu’un important changement est en train de se produire, dont il faut souligner les aspects très positifs. Plusieurs chercheurs, universitaires et indépendants, œuvrent pour une approche interdisciplinaire de la traduction audiovisuelle où toutes les perspectives ont une place égale et où l’intérêt d’un film ou d’une production audiovisuelle ne réside pas seulement dans la présence de mots. Pour eux, la recherche en ce domaine ne peut faire l’économie d’une prise en compte de toutes les dimensions en jeu : technique, historique, commerciale, économique, esthétique et humaine. Cette avancée est due à une poignée de chercheurs en études cinématographiques, domaine qui entend désormais occuper une place toute légitime dans la réflexion sur la traduction des films.

Par son caractère interdisciplinaire, cette approche ne vise pas simplement à dépasser le clivage entre chercheurs en traduction et praticiens de la traduction. Pour être fructueuse, elle doit aussi s’adjoindre le concours des professions du cinéma et de l’audiovisuel, particulièrement celles de la distribution, tous supports confondus, et de la conservation. À l’issue du congrès de Germersheim, nous avons été quelques-uns à émettre l’idée de créer un réseau de chercheurs s’intéressant aux aspects historiques et esthétiques de la traduction de films. Un tel réseau aurait notamment pour but de développer une étroite coopération avec des conservateurs d’archives du film et de cinémathèques, afin de favoriser le catalogage précis des versions doublées et sous-titrées. Sont en jeu à la fois la fiabilité des recherches et la sauvegarde de ce type de versions. Tout le monde y gagnera, non seulement le cercle restreint des chercheurs et des archivistes, mais aussi les spectateurs, car c’est l’une des manières de susciter l’exigence du public sur la qualité des doublages et des sous-titrages qui lui sont proposés.

Les souhaits émis devant les membres de la FIAF sur les rives de la Méditerranée pourraient bien avoir commencé de se concrétiser sur les bords du Rhin. Une première boucle serait ainsi bouclée, avant d’ouvrir de nouveaux cycles dans la reconnaissance du doublage et du sous-titrage comme aspects indispensables de la création cinématographique.

L'auteur

Membre du comité de rédaction de L’Écran traduit, Jean-François Cornu traduit de l’anglais pour l’audiovisuel (sous-titrage) et l’édition (ouvrages consacrés au cinéma et à l’art) depuis 1985. Menant parallèlement des recherches sur l’histoire et l’esthétique du doublage et du sous-titrage, il a publié plusieurs articles dans des ouvrages collectifs sur ce sujet, mais aussi sur divers aspects du cinéma.

Écran Traduit N°2