Suite de notre série de portraits de traducteurs, membres de l’ATAA.
La parole est à Délia D’Ammassa !
Nom : D’Ammassa
Prénom : Délia
En exercice depuis : 1999
Ton parcours
Après des études d’anglais à Paris et cinq ans passés en Irlande, où j’ai étudié puis travaillé dans plusieurs domaines, comme la restauration, l’interprétation, l’enseignement et le tourisme, je suis revenue en France avec l’idée de compléter ma maîtrise d’un « DESS », le Master 2 actuel.
J’ai été acceptée au concours d’entrée du DESS de traduction et adaptation cinématographique de Lille, en 1998-1999. À la fin de l’année, la fac a organisé un stage collectif d’une semaine chez Dune MK. Ensuite, j’ai eu la chance d’être appelée par le laboratoire VDM, à Courbevoie, dès le début de l’été 99 pour un CDI dans leur tout nouveau service de sous-titrage, qui ne comptait qu’un seul traducteur, à l’époque. Il m’a formée, puis je l’ai remplacé pendant ses premières vacances et ensuite, on a travaillé à deux puis très rapidement à trois pendant plusieurs années. Mais les plans sociaux se sont succédé et j’ai fini par faire partie de la dernière vague de licenciements massifs avant la restructuration et le déménagement de VDM à Issy-les-Moulineaux en 2005. Depuis ce temps-là, j’exerce en free-lance.
Ton premier bébé traductologique
En anglais, j’ai commencé par des génériques, des bandes-annonces, des bonus DVD et même des opéras, avant de sous-titrer beaucoup de films « bis », voire des films de série Z diffusés sur les chaînes du câble, comme Les Daleks envahissent la Terre (Gordon Flemyng), Galaxina (William Sachs) ou Basket Case (Frank Henenlotter). Une façon comme une autre de se faire la main ! Et en italien, mon premier long métrage a été Meurtre à l’italienne, de Pietro Germi, pour le Cinéma de Minuit.
Une prise de tête mémorable
Il y en a plusieurs.
La première, c’est la série Arrested Development, que l’on a sous-titrée à VDM pour sa diffusion sur TPS Star. La série est truffée de jeux de mots filés à partir des expressions les plus simples, et parfois illustrés par l’image. Et pour compliquer les choses, on avait les épisodes au compte-gouttes et on s’apercevait parfois trop tard qu’une réplique banale de l’épisode 5 aurait dû être traduite autrement pour permettre le jeu de mots qu’ils en faisaient à l’épisode 7. En plus, la série comporte beaucoup d’inscriptions à l’écran, importantes dans leur décalage par rapport à la voix-off ou aux dialogues, et on avait des versions images francisées à la va-vite par un autre labo en amont de notre traduction, ce qui court-circuitait considérablement notre travail.
La deuxième, c’est un long documentaire pour Arte intitulé Opération Retour, sur des soldats américains de retour d’Irak qui participent à un atelier d’écriture et produisent des œuvres littéraires sur ce qu’ils ont vécu. Le résultat à l’écran est passionnant et émouvant, mais chaque seconde de ces 80 minutes a été un cauchemar à traduire : la fonction des multiples intervenants, avec des grades et des nuances propres à certaines branches de l’armée américaine, le récit des combats avec énormément de détails sur les armes et les moyens militaires engagés, les citations littéraires intercalées entre chaque intervenant et, bien sûr, les œuvres littéraires en elles-mêmes, qui allaient de longs textes en prose à la poésie la plus inventive en passant par du slam percutant.
Un petit extrait :
Un regret
Je fais plus de voice-over que de sous-titrage et je sous-titre moins de fictions qu’avant.
Une fierté
Il y en a deux : le sous-titrage de Illusions perdues de Lubitsch pour le DVD édité par Wild Side et le sous-titrage de Prima della Rivoluzione de Bertolucci pour le Cinéma de Minuit, deux films que j’adore.
Une envie traductologique
Peut-être plus de films dits « classiques » ou « du patrimoine ». J’en fais quelques-uns pour des diffusions Arte, c’est toujours un bonheur.
En fait, j’aimerais « réparer » les sous-titrages datés et abominables (avec des répliques qui manquent, des fautes énormes, des contresens ou des inventions) qui ont été gardés malgré leur piètre qualité pour les éditions DVD ou les ressorties en salles de films anciens. L’exemple qui me vient en tête immédiatement, c’est La Grande Guerre de Mario Monicelli, dont l’édition DVD est une véritable honte, ou Demoiselle en détresse de George Stevens (où « Thursday » devient « mercredi », entre autres aberrations) ou encore L’Avventura d’Antonioni, mais il y en a beaucoup d’autres.
Je trouve ça désespérant que les nouvelles générations découvrent ces films avec des sous-titres calamiteux qui datent des années 40 ou 50, aussi bien sur une copie de cinéma que sur des supports conçus pour durer…
Une rencontre
Les traducteurs et les techniciens de VDM. On avait une vue d’ensemble sur les travaux de post-production, pas seulement sur la traduction et on formait une excellente équipe avant que les conditions se dégradent.
Pourquoi avoir choisi ce métier ?
L’idée de départ, c’était d’allier deux de mes passions : le cinéma et les langues. Bon, au quotidien, quand on travaille pour la télé, on traduit beaucoup d’émissions qui ne sont pas toujours d’une grande qualité. Mais j’aime le travail technique de repérage, j’aime faire des recherches sur de nouveaux sujets pour les documentaires, j’aime trouver le dialogue de fiction le plus naturel possible, j’aime sous-titrer des chansons qui donnent du fil à retordre, tenter de rendre l’humour d’une scène, etc. Quand on a des œuvres bien écrites à traduire, c’est une activité exaltante.
Ton regard sur la profession et son évolution
Le pire fléau, c’est évidemment la chute catastrophique des tarifs, notamment en sous-titrage vidéo. Mais ce n’est pas tout : il y a quinze ans, j’ai eu la chance d’être recrutée comme salariée et d’avoir accès à une formation solide, qui balayait tous les cas de figure que l’on pouvait rencontrer et qui m’a laissé le temps de faire mes armes de traductrice. J’ai bien conscience que ce ne serait plus du tout envisageable aujourd’hui. C’est le manque de formation qui m’attriste le plus. Faute de retour sur leur travail, les jeunes traducteurs débutants sont condamnés à reproduire toujours les mêmes erreurs et les mêmes anglicismes, parfois sans même le savoir.
L’autre évolution que je trouve dommageable, c’est l’absence de contacts favorisée par la dématérialisation : en cinéma, c’est différent, mais en vidéo, chacun travaille de chez soi, on ne va plus très souvent dans les labos pour les simulations. Au mieux, on fait des relectures croisées à distance pour de la fiction, mais en documentaire, on rend son texte et on ne sait jamais ce qu’il devient. Là encore, comme avec le manque de formation, l’auteur apprend moins et n’a plus cet enrichissement que peut procurer la confrontation des points de vue sur la langue, sur telle ou telle formulation, etc.
Ton regard sur la « consommation » d’œuvres audiovisuelles
Personnellement, je n’ai pas de télé, ni de box. Chez moi, je regarde uniquement des DVD achetés ou empruntés (et parfois un « replay » d’Arte) et je vais énormément au cinéma/ J’imagine que de plus en plus de spectateurs veulent voir des séries très rapidement après leur diffusion dans le pays d’origine. Moi, j’attends qu’elles soient disponibles dans les bibliothèques municipales. Et si la première saison me plaît, j’achète la série en DVD.
Un coup de gueule
Je trouve dommage que la qualité du travail ne soit pas le critère numéro un pour les décideurs (distributeurs au cinéma ou chargés de programme à la télé), qui ne sont pas suffisamment compétents en langue et en traduction. Leur seule considération est souvent uniquement tarifaire.
Je trouve aussi inquiétant d’être soumis aux baisses constantes de tarif. Quand on tente de s’y opposer, on s’expose à des périodes creuses de plus en plus fréquentes et longues.
C’est quoi un bon sous-titrage / doublage / voice over ?
Un bon doublage, je ne sais pas, je n’en regarde jamais.
Un bon sous-titrage, c’est un texte net et concis, bien découpé et bien orthographié, qu’on a le temps de lire, qui épouse le rythme de la langue d’origine et qui en rend le maximum de subtilités de façon naturelle et percutante.
Un bon voice-over, c’est un texte clair et fluide, précis sans être surchargé, lu par un bon comédien.
Pourquoi l'ATAA ?
À partir du moment où on est free-lance, on se retrouve souvent tout seul devant son ordinateur. Assister aux réunions du SNAC avec d’autres traducteurs de l’audiovisuel, c’est bien mais ce n’est pas suffisant. Depuis dix ans, l’ATAA nous permet de nous retrouver entre traducteurs de l’audiovisuel et d’avoir accès à toutes les informations disponibles sur nos métiers (les laboratoires en cessation de paiement, la réforme des retraites, les nouveautés fiscales, etc.) Par exemple, les modèles de documents administratifs mis à notre disposition sur le site de l’ATAA sont précieux.
Et puis, grâce à l’ATAA, les initiatives qui accroissent notre visibilité auprès du grand public se multiplient, c’est très positif.
Un dernier mot
Ce serait bien que la traduction, sous toutes ses formes, ne soit plus un métier de l’ombre incompris. Et que la langue française retrouve une place de choix dans la culture et dans la communication en général, tant qu’on y est !
Si vous aussi vous souhaitez publier votre portrait, vous exprimer pour une fois avec vos mots à vous, dans votre style à vous, pour partager votre expérience, rien de plus facile : prenez votre plus belle plume pour répondre à ce questionnaire, joignez-y si vous le pouvez illustrations et visuels et envoyez le tout à blog |at| ataa.fr !