Méchant souvenir
Après avoir été la secrétaire de Jean George Auriol, directeur de La Revue du cinéma et cause du premier chagrin brutal de ma vie lors de sa disparition dans un accident de voiture, j’étais restée avec Claude Heymann qui me présenta chez Titanus pour m’occuper des dialogues de Viviane Romance dans Légion étrangère de Basilio Franchina. C’était en 1952. La fortune : trente mille lires par semaine.
Viviane Romance était dans toute sa beauté, adorable, intelligente. Je dus hélas subir son mari, un intellectuel qui remaniait son texte. Notre antipathie mutuelle était telle que lorsque je tapais à la machine sous sa dictée, il se torturait les mains, déchirant la base de ses ongles, avec le désir de m’étrangler ; et je sentais bien ses « effluves » maudites derrière moi. Un jour, il a même saigné.
Voulez-vous savoir ce qu’il faut faire pour énerver quelqu’un qui dicte un texte ? On tape et brusquement on s’arrête, le doigt en l’air, perplexe, puis on recommence à mitrailler. L’auteur ne peut s’empêcher de vous demander :
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Rien, rien.
– Ça ne va pas ? Vous trouvez qu’il y a quelque chose qui ne va pas ?
– Non, non. Rien, une impression…
Vous pouvez être sûr qu’il sera bloqué sur la phrase en question, fou d’anxiété.
On peut aussi sucer du chocolat, mais très longtemps, avec des bruits de bouche, clap, clap…
On peut aussi… Mais ça, c’est pour les secrétaires, pas pour les traductrices.