Lors de la cérémonie, vous avez tenu à poser devant l’objectif avec Juliette Coupat et Claire Breton, finalistes du Prix. Pourquoi était-ce important pour vous ?
J’aime beaucoup cette photo ! C’est la seule image de nous trois. Selon moi, il est essentiel de valoriser l’ensemble des adaptateurs et adaptatrices. Dans la réalité, il est possible de se considérer comme des concurrents… Mais selon moi, c’est l’esprit d’entraide et la bienveillance qui permettent de durer dans ce métier et de tenir le coup. Dans notre secteur d’activité, nous connaissons une forte pression, soit parce que nous sommes en PLS en attente d’un projet ; soit parce que quatre programmes formidables nous sont proposés en même temps. Nous disons « oui » à tout, tant nous appréhendons les périodes de vaches maigres. Ensuite, les éléments n’arrivent pas, les délais deviennent tendus… Nous nous sentons constamment sur la brèche. D’où l’importance d’avoir un entourage de confiance avec qui se serrer les coudes. Ce sont des personnes qui nous recommandent sans se sentir en danger ou qui nous cooptent sur un projet dont le délai est trop court. Ce climat positif me semble fondamental.
Parlez-nous de vos débuts dans le métier.
J’ai commencé à travailler en 1989, alors que j’étais étudiante en deuxième année à l’ESIT, après une maîtrise en Études irlandaises et une année comme assistante de français au sud de Dublin. Grâce à une annonce dans Le Monde, j’ai su que la société Télétota – l’ancêtre d’Eva Vanves et Strasbourg – recherchait des traducteurs/repéreurs pour adapter les CBS Evening News. C’était un travail de nuit : les vidéos nous parvenaient à minuit, nous traduisions jusqu’à 7h pour enchaîner sur la simulation. À 8h, le programme devait être diffusé sur Canal+. Je me souviens encore de ma première nuit : c’était comme sauter dans le vide ! Pour une première mission dans le secteur, j’avoue qu’il fallait être inconsciente. Évidemment, mes études me préparaient aux métiers de la traduction, et j’avais été formée aux aspects techniques par une repéreuse pendant plusieurs semaines, mais l’aspect concret de cet univers m’était totalement inconnu. Au tout début, j’ai fait des bourdes. Chose plutôt habituelle pour une débutante… Mais par chance, le chef d’équipe était extrêmement bienveillant. Ainsi, pendant un an, j’ai traduit la nuit et suis allée en cours l’après-midi.
Cette première expérience professionnelle a-t-elle été déterminante pour vous ?
C’est grâce à cette expérience que j’adore le travail en équipe. J’ai souvenir d’une ambiance de communauté : nous travaillions tous ensemble dans les locaux du labo de 00h30 à 7h30 et mettions tout en commun. Je me sentais complètement hors du temps : les salles n’avaient pas de fenêtres, impossible de savoir si c’était le jour ou la nuit. Vers 3h du matin, nous faisions une pause, parfois autour d’une boîte de sardines. Les conditions étaient certes stressantes à cause des délais, mais cela s’avérait stimulant. Et ça roulait ! Je découvrais tout un métier, les sujets traités étaient variés et l’équipe de techniciens très professionnelle. C’était une expérience unique. J’avais 24 ans et j’étais bourrée d’énergie !
À l’époque, l’ATAA n’existait pas encore. Sa création a-t-elle été décisive selon vous ?
Quand la version multilingue est apparue, les droits n’ont pas été partagés entre les différents adaptateurs. Pendant des années, la Sacem a redistribué 100 % des revenus aux auteurs de doublage. C’était frustrant que la rémunération ne soit pas juste. L’ATAA a réalisé un travail de fou pour remédier à cela et obtenir une clé de répartition, tout en fédérant les gens du métier. Mais pas seulement ! L’association a également permis des avancées dans la reconnaissance de notre travail, la visibilité de la profession, et aussi tissé des liens dans toute l’Europe avec d’autres associations. Aujourd’hui, les jeunes du métier ont accès à un vade-mecum qui leur permet de connaître tous les statuts (auteur, micro-société, etc.). Avant, les informations n’étaient pas rassemblées ou personne ne savait où les trouver. Grâce à l’ATAA, cette méconnaissance n’existe plus. Le site Internet est une mine d’informations pour démarrer dans le métier et connaître les bonnes pratiques. Ce qui est capital.
Avec plus de 30 ans d’expérience, nous révéleriez-vous vos méthodes de travail ?
Au cours de ma carrière, j’ai appliqué diverses manières de faire. Et aujourd’hui, j’ai trouvé celle qui me convient le mieux. Avant de m’atteler à la traduction, je regarde les programmes dans leur intégralité. Concernant les séries, je visionne également l’ensemble de la saison – quand elle est disponible. Évidemment, c’est du luxe parce que très chronophage. Mais cela donne une vision d’ensemble. Je me concentre sur le visionnage et griffonne quantité de notes à l’écrit. J’ai toujours tout plein de carnets avec moi : j’ai un peu le syndrome du moine copiste [rires]. Je note les time codes des passages qui nécessiteront des recherches et je classe ces éléments par niveau de difficulté. Surtout, je note des idées de traduction qui me viennent spontanément, comme des fulgurances. Lors de mes recherches, je relève les termes qui me semblent intéressants afin de constituer une réserve d’expressions. C’est pour cette raison que je lis quantité d’articles de presse, comme j’ai pu le faire pour une série sur la justice restaurative. Je m’imprègne ainsi du sujet. Et quand je ne dispose que de bribes de séquences auxquelles il faut trouver une logique, cela m’aide à reconstituer ces mini puzzles. Comme cela a été le cas pour un documentaire sur l’histoire de l’Australie qui rassemblait des thèmes très différents : deux minutes de commentaire sportif d’un match de cricket, des chansons d’époque, des extraits de programmes télé, etc. En outre, le son n’était pas toujours de qualité… J’ai évidemment fait appel à mon carnet d’adresses, retrouvé la piste d’un spécialiste anglophone du cricket qui maîtrisait le français, et épuisé Internet… Malgré cela, il arrive que l’on ne trouve pas l’information. Dans ces cas, mes « réserves » de mots et d’expressions s’avèrent d’un grand recours pour combler de manière cohérente et en harmonie avec la thématique.
Comment faisaient les adaptateurs avant Internet ?
Nous allions en bibliothèque : j’ai souvenir d’avoir passé du temps à la BPI du centre Beaubourg et à la Bibliothèque nationale. À l’époque, il était simple de contacter le Museum d’histoire naturelle et d’échanger avec des chercheurs. C’était d’une grande aide pour adapter des documentaires animaliers. Mes contacts comprenaient un spécialiste des mammifères, un autre des insectes, etc. Un client m’avait aussi confié un documentaire sur l’aérospatiale et les fusées. C’est ainsi que j’ai partagé toute une matinée de travail avec un traducteur maison de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) qui avait accepté de m’aider. Évidemment sans images, car il était impossible de transporter les lecteurs U-Matic d’autrefois. Sur ce programme, j’avoue que j’ai pleuré des larmes de sang. Aujourd’hui, je refuserais un tel sujet. Même si mon sens de la curiosité est resté intact !