Au Pacte, comment choisissez-vous l’adaptateur ou l’adaptatrice des films que vous distribuez ?
Au Pacte, nous sortons une vingtaine de films par an, soit près de deux par mois, qu'ils soient français ou étrangers. Pour ces derniers, je collabore régulièrement avec six ou sept adaptateurs différents. Je tiens à cette diversité, contrairement à certains distributeurs qui travaillent toujours avec le même traducteur de l'anglais. Idéalement, je privilégie la continuité en collaborant avec le même adaptateur pour un même réalisateur, comme dans le cas de Ken Loach, Rodrigo Sorogoyen ou Sean Baker, Palme d'Or 2024 avec Anora. Cela permet de garantir une cohérence dans la traduction et de respecter la sensibilité artistique spécifique à chaque réalisateur. Certains francophiles, comme Nanni Moretti, veulent aussi relire leurs sous-titres et collaborent en direct avec le traducteur. Jim Jarmusch garde également un œil sur ses adaptations et dispose d’un traducteur attitré. Tout comme Kore-eda qui a lui-même choisi Léa Le Dimna comme interprète et traductrice. Ces 3 réalisateurs accordent une grande importance à la qualité des sous-titres, surtout en français, car la France est un pays où le cinéma est considéré comme un art noble.
Cette continuité est-elle le seul critère ?
Je suis également très fidèle dans mes collaborations : je donne toujours la priorité à mes traducteurs attitrés. Même pour des langues moins courantes comme l'italien, l'espagnol ou l'allemand. Avec certains adaptateurs, je travaille depuis dix ans, donc je ne me pose plus de questions sur la qualité de leur travail. Nous nous connaissons bien. L’affect est également un point essentiel de cette collaboration qui évolue parfois en amitié. Quoi qu’il en soit, j'essaie de faire travailler mes traducteurs équitablement, au moins une fois par an chacun. Et je veille à ce qu’ils disposent des meilleures conditions de confort et d’efficacité (même si les délais sont parfois courts) car chaque film présente ses propres défis, que ce soit en termes de longueur ou de complexité des sous-titres. Et comme je travaille à parts égales avec deux laboratoires différents, je leur demande de choisir : parfois ils préfèrent l’un pour ses compétences en repérage, ou l’autre pour des questions d’affinité avec leurs simulatrices.
Selon vous, faut-il que le profil des traducteurs corresponde au thème du film, comme on l’observe parfois en traduction littéraire ?
J'ai beaucoup lu à ce sujet… Et j’ai souvenir que pour 120 battements par minute, Robin Campillo avait choisi à dessein des comédiens homosexuels. En matière de traduction, des questions similaires peuvent se poser. Par exemple, pour un film avec une sensibilité féministe, je privilégierais probablement une traductrice. Au Pacte, nos productions, bien que très diverses (documentaires, films contemporains, œuvres historiques, etc) sont majoritairement des films d'auteur. Aussi, je tiens également compte des sensibilités et préférences individuelles vis-à-vis du thème et de l'atmosphère des films. Pour le documentaire sur Alexander McQueen, j'ai choisi un traducteur passionné par la mode et l'Angleterre. Pour celui sur Jean-Michel Basquiat, j'ai préféré une traductrice qui avait fait une excellente traduction d’un documentaire sur un thème similaire. Certains traducteurs se prêtent davantage aux films américains, tandis que d'autres s’accordent mieux à l’univers anglais. Quoi qu’il en soit, j'essaie de faire correspondre le traducteur au film, selon ses affinités et son expérience.
Comment recrutez-vous les adaptateurs de langue rare ?
Si je prends l’exemple du hongrois pour lequel il y a très peu d’œuvres distribuées en France, je commence par regarder les derniers films sortis et j'appelle leur distributeur pour savoir comment s'est déroulé leur collaboration avec l’adaptateur. Ensuite, je contacte les laboratoires et des amis traducteurs pour obtenir des recommandations. A mes débuts au Pacte, je me suis aussi beaucoup aidée de l'ATAA. J’assistais à la cérémonie des Prix Cinéma tous les ans et repérais les lauréats et les finalistes que j'appelais lorsque j’avais des projets similaires.
Vous semblez communiquer facilement avec les autres distributeurs indépendants…
En effet, nous nous connaissons tous et échangeons de manière active sur le métier. Il n'y a pas spécialement de concurrence, d’autant que c’est l’amour du cinéma qui nous anime. Il s'agit plutôt de coopération, car nous faisons face aux mêmes problèmes. Je mets à part les majors ; mais entre indépendants, il y a une forte solidarité. En technique, nous rencontrons constamment des aléas et il est nécessaire de partager nos expériences. Il ne faut pas oublier que nous sommes passés au numérique et que les technologies évoluent sans cesse. Et lorsqu’un film n’est pas diffusé correctement, cela se voit immédiatement…
Sur quels aspects évaluez-vous la qualité d'une adaptation ?
Plusieurs critères s’avèrent essentiels, mais ma priorité réside dans des sous-titres compréhensibles. Je veille à ce que le vocabulaire utilisé soit accessible à tous, qu’il s’agisse de termes intellectuels ou d’argot. Parfois, je fais même des sondages auprès de mes collègues pour m’en assurer. Par ailleurs, il est crucial d'éviter les expressions désuètes et l’abus d’anglicismes. La terminologie doit être adaptée au contexte et à l'audience cible. La ponctuation joue également un rôle important dans la lisibilité et la fluidité des sous-titres. Je fais attention aux excès de points de suspension et à la bonne utilisation des virgules ou des points, etc. Enfin, le style doit correspondre au ton du film qu’il s’agisse d’un vocabulaire très jeune comme dans Anora ou de termes techniques et historiques comme dans La Conférence, film pour lequel nous avons remis le Prix de l’adaptation en sous-titrage à Jean Bertrand. Chaque film demande une approche spécifique et adaptée. Jean Labadie, est également très sensible à la qualité de la traduction. Nous partageons cette exigence pour garantir des films accessibles et fidèles à leur essence originale. En résumé, une bonne traduction doit être compréhensible, pertinente, correctement ponctuée, précise dans les expressions et adaptée au style du film. L’objectif est que les sous-titres enrichissent l'expérience cinématographique sans la compromettre.
Quelles œuvres présentent les plus grands défis de traduction selon vous ?
Les films japonais sont particulièrement complexes. Au Pacte, nous distribuons près d’un film japonais par an ; à chaque adaptation, notre objectif est de maintenir la compréhension du spectateur sans dénaturer le film. En somme de trouver le bon équilibre. En effet, certaines scènes d’œuvres japonaises manquent parfois de clarté pour un public français. Traduire ces passages de manière compréhensible sans en faire une explication de texte demande beaucoup de temps et de travail lors de la simulation avec la traductrice. Or, trop franciser les références japonaises – comme la nourriture – peut nuire à l'authenticité et à l’exotisme de cette culture qui fait le charme des films japonais. Les films de Kore-eda posent également des défis particuliers du fait de leurs allusions à des références culturelles ou linguistiques – comme les caractères katakana et kanji – évidentes pour un Japonais, mais pas pour un Français. Par le passé, il était courant de franciser les noms et de nombreuses composantes culturelles : parmi les plus anciens films de Nanni Moretti, le prénom Francesca devenait Françoise. Aujourd’hui, nous jugeons cela déroutant. Ces adaptations ont depuis été corrigées pour préserver l'authenticité du film et ne pas altérer l'œuvre originale.
Les réalisateurs évoqués précédemment seraient-ils choqués si on leur proposait de recourir à l'intelligence artificielle pour leurs sous-titres ?
Je l’espère ! Mais nous parlons ici de réalisateurs de plus de 70 ans. Qu’en sera-t-il des jeunes réalisateurs ? Selon moi, il faut sensibiliser la nouvelle génération de responsables techniques, ceux de moins de 30 ans, afin qu'ils ne s'habituent pas à des pratiques de moindre qualité. Car je pense que l'enjeu de l’IA relèvera d’une question de coût pour les distributeurs, notamment pour les films indépendants étrangers aux budgets serrés et réalisant très peu d'entrées. Pour les traducteurs, il n’y a pas de différence entre un film qui culmine à 7 000 entrées et un autre qui atteint un million de spectateurs du fait de la même charge de travail. Mais j'ai peur que nous assistions à une montée du low cost. Cela commencera probablement avec les grandes plateformes de VOD, dont les films sont des produits gérés en flux, en opposition aux films que nous considérons comme des œuvres. A titre personnel, le seul domaine où j’envisagerais d’essayer l’intelligence artificielle concerne les bonus DVD, souvent payés au forfait et non concernés par les droits d'auteur.
Crédit photos : Brett Walsh