Membre du conseil d'administration de la sécurité sociale des artistes-auteurs (SSAA), l'ATAA est signataire, avec d'autres organisations, d'une lettre ouverte aux ministères de la Culture et de la Santé, ses deux ministères de tutelle, afin de dénoncer le dysfonctionnement de cette organisation censée exercer des missions de service public, gérer le régime social des artistes-auteurs et assurer plusieurs missions au service des artistes-auteurs.
On n’est pas forcément OK quand on est in, ni KO quand on est out, l'ATAA vous explique.
L’opt-out, c’est ce qui s’applique aujourd’hui en matière de droit d’auteur et d’IAG. C’est le Droit d’opposition personnel (dispositif défini aux articles L211-3 8°, L122-5 III et R122-28 du Code de la propriété intellectuelle) à l’utilisation de nos travaux pour le développement ou l’entraînement d’outils d’IAG. Pour faire simple, tant que je n’ai pas refusé expressément qu’on utilise mon travail, tant que je n’ai pas usé de mon opt-out, je suis réputé avoir accepté. Qui ne dit mot consent, quoi. Oui, ça fait mal. Mais on peut “dire mot”. Ce que la SACEM et la SCAM ont d’ailleurs déjà fait. Ces deux organismes ont fait valoir leur opt-out, leur droit d’opposition, pour les œuvres déposées dans leurs répertoires. Vous pouvez, en plus de la protection offerte par ces deux OGC aux œuvres que vous déposez auprès d’eux, faire figurer une mention toute simple au bas de tout courrier transmis à vos clients et de vos notes de droits d’auteur (l’ATAA a mis à jour son modèle en ce sens).
Mais on pourrait aller encore plus loin si l’opt-in était loi. Car à l’inverse du fonctionnement actuel, si le principe d’opt-in s’appliquait, nos travaux seraient protégés par défaut (oui, vous avez bien lu, sans qu’on n’ait rien à faire) contre l’utilisation pour le développement ou l’entraînement d’IAG. Tant qu’on n’aurait pas accepté expressément cette utilisation, on serait réputé l’avoir refusée. Vous l’aurez compris (enfin, on l’espère…), il nous semble essentiel de défendre à la fois une application de l’opt-out et une modification de la réglementation pour basculer vers le principe de l’opt-in.
Les machines, ces outils initialement conçus pour faciliter nos travaux divers, vous connaissez ? On prédit depuis déjà longtemps qu'elles vont nous remplacer, entretenant une vaste supercherie. Leurs plus fervents défenseurs reconnaissent pourtant l'imperfection des productions issues de machines. Et l’ATAA, comme ses adhérents, reçoit de plus en plus souvent des questions et des propositions autour de la post-édition. Si vous ne savez pas bien ce que c’est, c’est normal, car ce terme est l’exemple même d’une mauvaise traduction.
Issue de l’anglais “post-edit”, cette pratique consiste à retravailler une sortie machine pour que le texte ainsi transposé (on ne peut plus vraiment parler ici ni de traduction ni d’adaptation) d’une langue à une autre retrouve la forme et les caractéristiques d’une traduction ou d’une adaptation réalisée par un humain. Cette pratique, fondée sur une vision chimérique et statistique de la traduction (un mot ou un groupe de mots en langue A = un mot ou un groupe de mots en langue B), emporte plusieurs risques majeurs.
La multiplication de textes et documents issus de machines et plus ou moins améliorés par des humains mène (déjà !) à une standardisation et à un appauvrissement de nos langues et de nos pensées.
Ce que nous devons aux Babyloniens, à Alan Turing et à leurs successeurs
Voilà bien longtemps que l'homme a intégré l'existence de différentes langues non comme un progrès, une richesse culturelle, comme le fruit des évolutions de ses pensées, comme l'expression de ses adaptions à des contextes naturels, historiques, politiques ou sociaux divers, mais plutôt comme une punition mythique, un obstacle à surmonter pour faciliter, voire libérer, les échanges humains de toutes natures.
Voilà donc bien longtemps aussi qu'il tente par différents moyens de vaincre cet obstacle, de contourner cette punition.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la défense des libertés passait par l'interception et le décodage de messages secrets. Ces messages étaient codés pour n'être lisibles par leur destinataire qu'après un décryptage, au moyen d'un système de codage connu de lui et de l'émetteur du message. De là, entre autres, est née la supercherie, le mirage d'une possibilité de traduction automatique fondée sur l'idée qu'une langue serait un code, et que passer d'une langue à une autre reviendrait finalement à transposer un message d'un code à un autre.
Les premiers modèles de traduction automatique ont ainsi été développés à partir de listes de mots, complétées de règles syntaxiques, grammaticales et linguistiques pour chaque langue des combinaisons recherchées. L'ajout de ces règles permettait, avec un travail d'arborescence, d'améliorer les résultats de transcodage pour imiter un message rédigé directement dans la langue cible.
Puis les chercheurs commencèrent à envisager, en s'inspirant de la biologie, l'idée que les machines puissent, à partir de ces données, "apprendre" par elles-mêmes comment traduire en développant des réseaux dit neuronaux, c'est-à-dire supposément inspirés de la structure neurone du cerveau humain. Pour faire fonctionner ces réseaux, la machine doit en premier lieu comparer d'immenses corpus de textes disponibles dans deux langues. À partir de cette étude, elle crée une représentation spatiale de chaque langue, un modèle d'organisation linguistique, établi, pour chaque combinaison de langue source et de langue cible, sur la base d'occurrences et de proximités récurrentes de mots ou groupes de mots les uns par rapport aux autres. Le résultat du transcodage est ici obtenu à partir d'un calcul statistique, de probabilité, en somme.
En 2020, plusieurs membres de l’ATAA qui assistaient pour leur plaisir au Festival du film américain de Deauville s’émouvaient dans un billet de blog de la piètre (c’est peu dire) qualité de beaucoup de sous-titrages des films présentés en sélection, notamment des films n’ayant pas de distributeur français. Visiblement, c’était s’époumoner pour rien : force est de constater que la qualité n’a fait qu’empirer, notamment sous l’influence de la machine dont on nous promet qu’elle peut avantageusement remplacer les traducteurs, appelée même « intelligence » artificielle, mais on se demande bien pourquoi ici. Car celle-ci montre clairement ses limites (alerte spoiler !) par son absence de prise de décision sensible, de désambiguïsation, d’analyse de l’image ou du contexte ou simplement de la langue.
Les équipes de films ou productions américaines de ces films indépendants souvent à petit budget se retrouvent sans doute tentées de « simplement » passer leur fichier de sous-titres anglais dans une moulinette de traduction automatique, et cela sans que l’équipe du Festival n’ait contrôlé le résultat catastrophique, si l’on en croit les erreurs grossières, systématismes absurdes et répétitions inutiles qu’une intelligence humaine ne ferait jamais, les non-dits non traités et facteurs de contresens, les références culturelles ou traits d’humour qui passent à la trappe, les choix sémantiques inexistants et les subtilités de sens ou de registre de langue allègrement piétinées. En deux mots comme en cent, bien souvent, ça n’avait AUCUN SENS.
On pourrait relever une certaine ironie dans le fait que ce Festival qui se targue d’être un dialogue entre le cinéma américain et le cinéma français, comme cela a été répété toute la semaine, fasse aussi peu de cas de la traduction des dialogues des films qu’elle présente. De toute évidence, en laissant faire ces pratiques de traduction automatique ou non professionnelle, le Festival laisse la langue se faire maltraiter, au mépris des œuvres, des équipes de films et du public.
Comme s’en prévaut le Festival, il s’agit d’une semaine de rencontres cinématographiques prestigieuses, pas d’un petit festival du coin bricolé avec les moyens du bord. Le contraste est particulièrement saisissant entre les moyens mis pour les tapis rouges, grands invités et autres tralalas, et l’amateurisme des sous-titres, qui rayent la rétine du public au même titre qu’une image qui serait floue ou déformée. Nombreux étaient les spectateurs qui se déclaraient gênés en fin de projection, ayant eu du mal à suivre le film projeté du fait de sous-titres surchargés, truffés de fautes et d’approximations, voire totalement incompréhensibles.
Pourquoi le Festival néglige-t-il ce pan entier de la post-production et de la diffusion des œuvres, au risque de se discréditer, tout en prétendant mettre à l’honneur lesdites œuvres ?
Pourquoi les productions prennent-elles le risque que leur film soit incompris, son propos, son atmosphère et son esthétisme trahis par une machine dénuée de compréhension ?
Petites études de cas par les membres de l’ATAA qui avaient fait le déplacement cette année et ont courageusement souffert pour offrir ce compte rendu 😊
Autrice et membre du jury des Prix Série de l’adaptation en sous-titrage
Quel bilan tirez-vous de votre activité de jurée ?
Être jurée s’avère une position intéressante, mais pas si facile. Il a fallu prendre la posture d’un spectateur à la fois initié et objectif sans tomber dans l’exercice de simulation. Si les quatre séries finalistes se sont presque imposées d’elles-mêmes, il a été bien plus difficile de les départager : chaque adaptation excellait ; ce qui nous a obligées à entrer dans le détail de chaque réplique, chaque trouvaille — et c’est là que l’exercice devient passionnant. Cela a donné lieu à de longs débats et chacune, avec sa sensibilité, ses habitudes, son expérience, apportait une lecture différente. Tous ces échanges m’ont permis de réfléchir à mes propres pratiques, à ce qui fait ou non un bon sous-titrage… À ce qui marche et ce qui marche moins bien.
Concernant la série Ted Lasso, j’ai aimé observer l’expertise des jurées coutumières des comédies. Personnellement, j’ai très peu travaillé sur ce genre de programmes… Leur approche pour traduire l’humour s’est révélée différente de celle des adaptatrices familières des séries historiques. Néanmoins, quel que soit le registre, notre mission consiste à faire découvrir et transmettre la culture source au public cible. Quand il s’agit d’une diffusion grand public, il faut que les références soient immédiates. C’est une question de dosage et notre rôle comprend aussi de savoir où placer le curseur.
Autrice et jurée des Prix de l’adaptation en sous-titrage d’un film
La reconnaissance offerte par les Prix ATAA libère fréquemment les lauréats du syndrome de l’imposteur. Pourquoi nombre d’adaptateurs et d’adaptatrices le ressentent-ils ?
C’est difficile à dire, surtout que cela dépend de chacun. C’est peut-être en partie le fait de certaines constructions sociales qui ont la dent dure. Il me semble que les études de langues et de lettres en général sont, encore aujourd’hui, moins bien considérées que les cursus scientifiques. Presque comme si ce n’étaient pas de « vraies » études, ou du moins, moins sérieuses.
Il se trouve que cela correspond aussi à une répartition très genrée des choses. Quand j’étais en fac d’anglais, nous étions 80% de femmes... Par ailleurs, il me semble que notre société continue de moins promouvoir et valoriser l’ambition personnelle, la réussite professionnelle et tout simplement la confiance en soi, chez les filles que chez les garçons. Notre métier – littéraire – étant fortement féminisé, ces deux constats permettent peut-être un premier éclairage sur le fait que les traducteurs, et encore plus les traductrices, ont tendance à douter de leur véritable valeur.
Par ailleurs, les traducteurs qui, par essence, sont des intermédiaires, sont souvent des personnes introverties, timides, discrètes, qui préfèrent rester en arrière-plan. Dans notre métier, on se met au service du texte.
Enfin, nous avons souvent très peu de retours sur notre travail. Ou bien, quand nous en avons, ce sont sur les côtés négatifs… Aujourd’hui, dans certains labos, les chargés de projet n’ont plus le temps de relire nos adaptations. En voice-over, par exemple, ils privilégient souvent le volume et travaillent avec de multiples traducteurs. Ils n’ont pas le temps de se faire une idée de la qualité du travail de chacun, et ne reviennent vers nous qu’en cas de plaintes de la part des directeurs artistiques, ou de retours techniques. Il devient donc difficile de nous évaluer par rapport aux attentes du client. Impossible de savoir si ce dernier est satisfait. Parfois, les collaborations s’arrêtent sans préavis : dans ce cas, nous imaginons toutes les raisons possibles. Comment ne pas le prendre personnellement ? Plus nous sommes isolés dans notre pratique, plus nous avons l’impression que ces situations n’arrivent qu’à nous. C’est pour cette raison qu’il est primordial de communiquer entre confrères et consœurs. Cela permet de savoir si l’ensemble du marché connaît une baisse ou si cela ne concerne que notre propre activité. Pour toutes ces raisons, les Prix ATAA sont essentiels : ils offrent des indicateurs de qualité extérieurs, et donnent aussi aux clients la possibilité d’évaluer notre travail.
Responsable technique au Pacte et jurée pour les Prix de l’adaptation en sous-titrage d’un film
Au Pacte, comment choisissez-vous l’adaptateur ou l’adaptatrice des films que vous distribuez ?
Au Pacte, nous sortons une vingtaine de films par an, soit près de deux par mois, qu'ils soient français ou étrangers. Pour ces derniers, je collabore régulièrement avec six ou sept adaptateurs différents. Je tiens à cette diversité, contrairement à certains distributeurs qui travaillent toujours avec le même traducteur de l'anglais. Idéalement, je privilégie la continuité en collaborant avec le même adaptateur pour un même réalisateur, comme dans le cas de Ken Loach, Rodrigo Sorogoyen ou Sean Baker, Palme d'Or 2024 avec Anora. Cela permet de garantir une cohérence dans la traduction et de respecter la sensibilité artistique spécifique à chaque réalisateur. Certains francophiles, comme Nanni Moretti, veulent aussi relire leurs sous-titres et collaborent en direct avec le traducteur. Jim Jarmusch garde également un œil sur ses adaptations et dispose d’un traducteur attitré. Tout comme Kore-eda qui a lui-même choisi Léa Le Dimna comme interprète et traductrice. Ces 3 réalisateurs accordent une grande importance à la qualité des sous-titres, surtout en français, car la France est un pays où le cinéma est considéré comme un art noble.