En tant que membre de l’ATAA, qu'avez-vous pensé de la création de l'Extra Bille ?
C’est fantastique ! Fantastique de mettre en lumière les professionnels qui œuvrent pour notre métier, et de célébrer leur travail. Il est important de valoriser ces personnes qui contribuent à l'ATAA, souvent discrètement et depuis de nombreuses années. Par ailleurs, c'est une belle manière de se souvenir de Samuel Bréan, qui s’est tellement investi dès la création de notre association. Cette distinction permet de perpétuer son héritage. Plus généralement, l’Extra Bille aura pour effet de renforcer notre communauté.
Vous êtes lauréate du Prix ATAA 2022 pour l’adaptation en sous-titrage d’une série anglophone. Ce Prix a-t-il changé votre vie professionnelle ?
Depuis que j’ai gagné ce Prix, j’ai le sentiment que cela a renforcé la confiance de mes clients. Certains m’ont proposé plus facilement de nouveaux projets. Parfois, personne ne nous rappelle, ce qui nous pousse à nous remettre constamment en question. Mais globalement, j'ai ressenti une augmentation des demandes et moins de périodes creuses. Par ailleurs, de nouveaux clients m’ont sollicitée, notamment l’une des membres du jury 2022, gérante d’un laboratoire. En tout cas, le Prix ATAA m'a aidée à prendre de l'assurance. J’ai réussi à relancer plus facilement mes contacts et à me sentir plus à l’aise dans cette démarche. Je trouve que ce sentiment de légitimité aide énormément. Cela change la façon dont nous nous présentons ou dont nous sollicitons du travail.
Être jurée – et avoir scruté le travail de vos consœurs et confrères – a-t-il décuplé votre créativité ?
Avoir été jurée trois fois m’a aidée à identifier ce qui fonctionne ou pas dans nos adaptations, notamment dans la manière de découper les sous-titres ou de faire passer certains mots. Mais l’intérêt d’être jurée tient moins à l’analyse des programmes en compétition qu’aux échanges avec les autres membres du jury. En effet, tous les avis ont leur importance, que les jurés soient expérimentés ou non. Chacun possède sa propre vision et ses propres attentes ; et nous ne relevons pas toujours les mêmes éléments. L’enrichissement de cette expérience vient donc de nos débats sur certaines difficultés ou encore de la confrontation de plusieurs générations d’autrices et auteurs. Dans nos métiers, nous observons aussi des tendances selon les époques. Et à titre personnel, je me suis rendu compte que certaines pratiques auxquelles je tenais ou que je m'interdisais ne s’avéraient pas indispensables. Au fil des années, j’ai ainsi acquis une nouvelle vision esthétique des sous-titres. En cela, être jurée se révèle inspirant.
Vous avez été jurée deux fois pour les Prix Cinéma et une fois pour les Prix Séries. Avez-vous observé une amélioration de la qualité des traductions ou au contraire, une dégradation due aux délais plus courts et à la baisse des rémunérations ?
Le comité nous propose généralement des travaux de qualité. Les œuvres passent déjà par une sélection rigoureuse, donc ce que nous recevons est souvent de bonne facture. Cependant, pour deux ou trois séries, la nature des erreurs relevées suggérait un manque de recul et peut-être des délais trop courts. Avec plus de temps, les traducteurs n'auraient pas commis ces erreurs qui ne relevaient probablement pas du manque de compétences ou d’un manque d'expérience.
Cependant, c'était la première fois que j’étais membre du jury Séries, aussi je ne peux pas comparer avec les années précédentes. En revanche, en ce qui concerne le cinéma, nous sentons que les autrices et auteurs disposent généralement de meilleurs délais pour travailler : cela se reflète dans la qualité des traductions.
Quel regard portez-vous sur la menace de l’intelligence artificielle ?
Concernant l’intelligence artificielle, il est possible que je me mette des œillères. Mais à ce jour, je ne vois pas comment l’IA pourrait s’emparer de l'image pour faire une bonne traduction, surtout dans le cas d’une œuvre de fiction. En effet, il faut pouvoir appréhender les expressions du visage, saisir les subtilités dans le rythme, comprendre le contexte... Je pense qu'une intervention humaine est indispensable. Traduire des dialogues sans avoir accès à l'image donnerait des résultats très étranges. Dans nos métiers, il n’est pas possible de dissocier le texte de l’image. Mais, peut-être suis-je naïve…
Lors de la cérémonie, Isabelle Miller a évoqué les grèves des scénaristes et des comédiens l’an passé aux États-Unis. Si une telle mobilisation devait avoir lieu en France, y participeriez-vous ?
À l’heure actuelle, mon quotidien n’a pas changé : on me sollicite toujours pour adapter de manière traditionnelle des œuvres. Même si j'ai déjà reçu des emails d’agences me proposant de corriger des traductions réalisées automatiquement. Pour moi, ce n'est même pas envisageable. Je ne sais pas exactement en quoi cela consiste, et je ne veux pas le savoir. Mais le jour où l'on me proposera majoritairement des tâches de ce type, alors je me dirai qu'il y a vraiment un problème et que nous prenons un virage inquiétant. Je penserai qu'il est temps d’agir et n’hésiterai pas à m’associer à un mouvement collectif.
Crédit photos : Brett Walsh