Rencontre avec Lola Wagner

Mention spéciale du Prix de la traduction de documentaires audiovisuels

Lors de la remise de votre récompense, vous êtes montée sur scène en clamant un tonitruant « Je ne suis pas qu’un physique ! » qui a enthousiasmé l’assistance. Quelle place prend l’humour dans votre vie ?

L’humour est mon principal trait de personnalité. Avec l’autodérision. Même dans les situations dramatiques, le rire me sert de rempart. J’aime que la vie soit drôle. Et je ne m’entoure que de gens dotés d’un grand sens de l’humour.

Préférez-vous les programmes légers aux sujets sérieux ?

J’aime traduire des programmes drôles pour pouvoir y mettre ma patte. Quand le narrateur d’une VO tente une blague totalement intraduisible, je fais le choix de placer un trait d’humour un peu plus loin dans le texte, afin de ne pas perdre le caractère humoristique du programme. Évidemment, ce sont des choix artistiques et subjectifs. Nous savons bien que « traduire, c’est trahir ». Il faut toujours trouver le bon équilibre. Cependant, les DA ou les relecteurs ont parfois tendance à me censurer : « Attention ! Ce n’est pas ce qui est dit dans la version originale. Il faut respecter le sens littéral. » Les labos craignent aussi la critique des chaînes qui préfèrent généralement une approche conventionnelle, quitte à s’éloigner du ton de la VO. Cependant, certains de mes clients ont compris mon humour et ma manière de travailler.

Parlez-nous de Food Factory, la série documentaire pour laquelle vous avez reçu une mention spéciale de la part du jury ATAA.

J’ai traduit une dizaine d’épisodes de Food Factory. On me l’avait vendue comme une série de petits 22 minutes faciles à adapter, pourtant ce programme n’a rien d’évident. Le débit de paroles est très rapide et chaque épisode m’a demandé une semaine de travail. Au début, j’ai passé un temps considérable sur des sites de vente ou sur des catalogues en ligne à rechercher des références de machines chinoises, et à identifier quelle petite pièce convient à quel moteur. Mais j’aime ce travail d’enquête.

Comment s’est concrétisée votre candidature au prix ATAA ?

La chargée de projets de Food Factory a suggéré mon travail au comité d’organisation du prix. Quand ils ont pris contact avec moi, j’ai accepté. Après tout, qu’est-ce que je risquais ? Aujourd’hui, je ressens une très grande fierté, surtout parce que tout le monde a trouvé mon adaptation très drôle.

Vous arrive-t-il de traduire de la fiction ?

Je ne traduis que des documentaires. J’ai fait une tentative en doublage : Cinékita a accepté de me former gratuitement pendant une semaine. Ils m’ont aussi prêté le logiciel. Cependant, j’ai détesté l’exercice que je trouve trop contraignant sur le plan technique. Pour moi, il est frustrant de renoncer au mot juste à cause de la synchronisation labiale. Par ailleurs, le travail se fait dans une grande lenteur : traduire 5-6 minutes de film par jour me semble interminable. Ce n’est pas pour moi. La traduction de voice over offre beaucoup plus de liberté. J’aime cet exercice qui nous demande une grande capacité d’adaptation, de garder l’esprit ouvert et curieux. Cela nous force à de nombreuses recherches et à nous intéresser à de multiples sujets. Chaque semaine, nous changeons de thématique : L’enfer des routes de Norvège, Cauchemar en cuisine, ou une série sur des chercheurs d’opale australiens… Il n’y a que la mécanique que je refuse. Je ne comprendrai jamais rien au fonctionnement d’un moteur. Lors de ma dernière expérience, j’ai fini en larmes… Pour diversifier mes activités, peut-être faudrait-il que j’envisage une formation en sous-titrage. Mais cela obligerait à prendre un congé et donc à disposer d’une trésorerie…

Est-ce aussi pour cette raison que vous avez taquiné votre chargée de projet sur les tarifs, lors de votre discours ?

Depuis l’obtention de mon Master 2 à l’ISIT en 2011, je vois les délais et les rémunérations baisser. La qualité également… Comme si cette dernière n’avait plus son importance pour certains acteurs du métier. Rapide et pas cher devenant les seuls critères. Au vu des contresens ou des fautes de français, il est évident que nombre de programmes ne sont plus relus. Par ailleurs, j’observe que nous recevons très fréquemment des offres étonnantes d’obscurs studios : par exemple, l’un d’eux m’a proposé de traduire un documentaire espagnol à partir d’une traduction relais. J’ai évidemment refusé. Ce n’est pas comme si les traducteurs d’espagnol étaient rares. Cela ne fait même pas partie de ma combinaison de langues…

Comment envisagez-vous l’avenir ?

Parfois, je me dis que notre métier aura disparu dans 10 ans... Être auteur n’assure aucune sécurité de l’emploi, ni aucun droit au chômage. Cela nous oblige à accepter tous les projets, malgré des tarifs dérisoires. Mes amis intermittents du spectacle que j’entends se plaindre ne se rendent pas compte que leur statut est plus enviable que le nôtre. N’oublions pas que les rémunérations en-dessous des tarifs recommandés par l’ATAA sont bien plus courantes que l’inverse. D’ailleurs, nombre d’auteurs commencent à prendre des petits boulots en parallèle de la traduction, ou envisagent des reconversions, comme dans l’enseignement. Moi-même, je m’interroge sur mes alternatives professionnelles. Je suis maman solo, et l’été dernier, j’ai dû prendre un emploi saisonnier comme runneuse dans un restaurant. C’est le pire des postes : en résumé, j’étais le renfort de tous, que ce soit à la plonge, en cuisine ou en salle. Je n’ai pas eu le choix : depuis trois ans, il y a une baisse flagrante du volume de commandes. Par chance, mes documentaires sont majoritairement programmés sur les chaînes de la TNT avec de nombreuses rediffusions, sur de longues périodes. Aujourd’hui, les droits reversés par la Scam représentent plus de 50 % de ma rémunération annuelle.

Dans quels cas avez-vous recours à la Scam ?

Au début de ma carrière, je me rendais chaque printemps à la Scam pour rencontrer l’avocat fiscaliste Maître Pradier. Avec beaucoup de patience, il aide les adaptateurs à remplir leur déclaration d’impôts, exercice qui peut rapidement se transformer en casse-tête. La Scam s’avère également d’un précieux soutien pour déclarer les programmes traduits au cours de l’année. L’enregistrement de nos œuvres nécessite de renseigner le titre VO et VF du programme et de l’épisode, leur numérotation (ou ordre de diffusion), la chaîne et la date de première diffusion. Quand les labos ne nous communiquent pas toutes ces informations, nous devons nous lancer dans un véritable jeu de piste. C’est d’autant plus compliqué que certaines saisons comptent une quarantaine d’épisodes avec des titres très similaires… Une fois par an, j’épluche tous les programmes télé. C’est un travail extrêmement long. À ce jour, les chaînes refusent toujours de nous fournir leurs grilles de diffusion. Le personnel de la Scam consacre beaucoup de temps et d’énergie à nous aider à retrouver ces données. Ils nous conseillent aussi des astuces. Par exemple, si tous les autres épisodes ont été réclamés par d’autres traducteurs, cela permet de retrouver nos propres œuvres par déduction. L’accès aux résumés aide aussi à identifier nos épisodes. Et si nous ne parvenons pas à retrouver la date de première diffusion, la Scam accepte que nous indiquions la date d’adaptation en attendant qu’ils aient retrouvé la date correcte. On sent que ça leur tient à cœur de nous aider.

Avec cette mention spéciale, allez-vous démarcher de nouveaux labos ?

En voice over, on trouve beaucoup de petits programmes comme Man versus wild, Billy l’Exterminateur ou Douanes sous haute surveillance… Alors, je me sens intimidée de contacter des labos plus prestigieux ayant pignon sur rue. J’ai peur de ne pas être à la hauteur ou qu’ils n’aiment pas mon travail. Même si selon moi, il est plus difficile de traduire un programme imparfait pour le rendre fluide et agréable à regarder, que de traduire une narration initialement bien rédigée. Mais peut-être que mes craintes ne sont pas fondées…

Les finalistes : Isabelle Sassier, Stanislas Raguenet, Cristina Fernandez, Lola Wagner et Isabelle Brulant

Crédit photo : Brett Walsh

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