Bravo pour l’adaptation de Fisherman’s Friends ! Lors de la cérémonie, le public a pu mesurer à vos cris de joie, l’importance que ce Prix ATAA représente pour vous.
C'était une soirée incroyable ! À l’annonce de nos Prix, Emmanuel Menouna Ekani, Éléonore Boudault et moi-même avons littéralement explosé de joie. Ce moment a tellement été chargé en émotions que j'ai eu du mal à m'en remettre. J’étais comme sortie de mon corps. Je n'aurais jamais imaginé remporter ce Prix. Ma nomination me suffisait : c’était déjà une reconnaissance incroyable. Heureusement que Céline Merlin, la responsable de notre service à Titrafilm, m'avait suggéré de préparer un discours. « On ne sait jamais… », disait-elle. Quel précieux conseil ! Sinon, j'aurais été totalement incapable de dire quoi que ce soit sur scène.
Qu’est-ce qui a motivé une telle euphorie collective ?
Avec Manu et Léo, nous partageons un lien spécial. D'une manière ou d'une autre, nous avons tous contribué au succès de chacun. Depuis le début de notre parcours, nous sommes solidaires et nous réjouissons sincèrement lorsque l'un d'entre nous décroche un projet. Nous ne sommes pas en concurrence. Et si l’un de nous bute sur une réplique compliquée, nous l’aidons et lui donnons nos meilleures idées. Ce sens de la collaboration et de l'entraide s’avère très précieux : cela rend nos réussites encore plus significatives. D’où notre enthousiasme : c’était tout simplement incroyable de remporter tous les trois un Prix ATAA la même année ! On se serait cru dans un happy end à l’américaine où tout le monde gagne, et où personne ne perd.
Il faut dire qu’à Titrafilm, nous sommes comme une grande famille. Notre groupe est constitué de collègues, anciens et actuels, que je connais depuis dix ou vingt ans. Je les considère comme mes meilleurs amis. Nous partons même en vacances ensemble, et allons souvent au cinéma voir les films traduits par les uns ou les autres. Nous avons des centres d’intérêt communs, même si nos personnalités, nos opinions personnelles et nos goûts artistiques diffèrent. Les débats sont monnaie courante. Cependant, cette diversité est passionnante.
Depuis 2007, vous êtes salariée à temps plein à Titrafilm. Cela a-t-il contribué à vos talents d’adaptatrice ?
Travailler 16 ans pour un labo m'a permis d'examiner une multitude d’adaptations, certaines superbement réalisées et d'autres beaucoup moins bien. J’ai énormément appris en observant comment d'autres professionnels exerçaient leur métier, ainsi qu’en échangeant avec eux dans mon quotidien. Certaines traductions ont été une véritable source d’inspiration et ont nourri mon propre travail. Sans cette expérience, je n'aurais sans doute pas eu l'opportunité de recevoir une formation aussi enrichissante.
Pensez-vous que recevoir ce prix ATAA vous aidera également dans votre carrière ?
Mon expérience de travail pour le cinéma est relativement récente. Fisherman’s Friends était seulement mon deuxième film sorti en salles. Je n’étais pas un grand nom de la traduction… Peu de gens du milieu me connaissait. Recevoir ce Prix m’offre davantage de légitimité : cela a renforcé ma confiance en moi et m’a donné le courage de manifester mon intérêt pour des films que j’aimerais traduire.
Comme vos amis-collègues, envisagez-vous de quitter le salariat pour devenir freelance à temps plein ?
Cette idée me trotte évidemment dans la tête. C’est le parcours naturel de beaucoup d’opérateurs de repérage ou de simulation. Mais je suis prudente et réfléchis toujours longtemps avant de prendre une décision. Salarié ou freelance : chaque statut a ses avantages et ses inconvénients. Mais cela oblige à prendre en compte les risques liés au statut d'indépendant. Par exemple, la grève actuelle des scénaristes aux États-Unis est un risque à considérer, l’émergence de l’IA également. Mais, il est certain que j'y songe…
Compte tenu des contraintes budgétaires de nombre de productions, craignez-vous que certains acteurs du milieu considèrent l’intelligence artificielle comme une solution ?
J’espère que ce ne sera jamais le cas… J’ai cependant souvenir d’une discussion avec un producteur qui s’imaginait que nous – traducteurs – étions impatients que l’IA soit disponible pour nos métiers. Évidemment, cela nous a interloqués. Mais lui y voyait un outil de facilitation, persuadé que nous serions ravis. Il ne se rendait pas compte de tout ce que cela impliquait.
À titre personnel, cela me semble impensable de laisser des machines effectuer ce travail intellectuel. Peut-être suis-je naïve, mais je n’ai pas envie d’y croire. Beaucoup pensent que notre métier consiste à traduire des mots, mais nous traduisons des idées, des non-dits, des tons de voix, de l’humour… Et pour le moment, l’intelligence artificielle n’en est pas capable. J’espère qu’elle ne le sera jamais. Même si nous observons déjà des applications très sophistiquées dans le doublage, avec ces logiciels qui imitent la voix d’acteurs américains et les font parler français tout en suivant le mouvement des lèvres… Tout au moins, j’espère que le milieu audiovisuel et le public ne se contenteront pas de cela. Ce ne serait dans l’intérêt de personne.
Il est possible que certains clients fassent pression pour réduire les coûts…
Personnellement, j’ai du mal à penser qu’on laissera faire. Nous avons la chance d’être en France, et notre pays est particulièrement attaché à la qualité du doublage et des sous-titres. J’imagine que la régulation de l’intelligence artificielle sera un des chevaux de bataille de l’ATAA. Et j’espère que le CNC s’opposera aussi à l’automatisation de nos métiers…
En 30 ans, le métier d’adaptateur a déjà connu une fulgurante évolution, passant d’une vingtaine de professionnels à environ 1 500 aujourd’hui. Que pensez-vous de cette forte émergence ?
Il est vrai, qu’en seulement trois décennies, notre profession a connu une évolution significative avec la numérisation, l’apparition de nouvelles chaînes sur le satellite, l’arrivée de TNT – qui a entraîné une forte augmentation des programmes sous-titrés –, ou encore la création de nombreux masters de traduction audiovisuelle… Nous sommes passés d'une petite communauté de traducteurs audiovisuels, dont certains ne se consacraient pas exclusivement à cette discipline, à une profession plus importante. Malheureusement, tous n'ont pas accès à des projets prestigieux : travailler pour les grands studios ou les grandes productions cinématographiques reste une situation privilégiée. En sortant de la fac, il est tout simplement impossible de collaborer avec des majors. Me concernant, heureusement que je travaille à Titrafilm ! Sinon je n'aurais jamais pu rencontrer toutes les personnes qui m'ont confié des projets. Selon moi, notre carnet d’adresses contribue en grande partie à notre réussite.